Le déclenchement de l’épidémie du Coronavirus au Maroc, a renforcé la vulnérabilité des travailleurs qui sont les premiers à payer les pots cassés des effets de la pandémie. La législation du travail est-elle assez blindée pour protéger leurs droits ?
Il ne fait nul doute que la pandémie du Coronavirus aura de lourdes conséquences sur le tissu économique marocain. Cela dit, constater que 113.000 entreprises déclarées à la CNSS en arrêt temporaire de travail depuis 15 mars et plus de 700.000 salariés du secteur privé inscrits à la date du 01 avril à 17h00 pour bénéficier de l’indemnité forfaitaire mensuelle de 2.000 DH, alors que l’état d’urgence sanitaire n’est entré en vigueur que le 20 mars pose plusieurs points d’interrogation. C’est ce qui a d’ailleurs poussé le ministre des Finances d’avertir que des audits et des suivis seront effectués pour s’assurer de la véracité des déclarations.
Et c’est surtout ce qui laisse craindre que les travailleurs seront dans les premières lignes du front à payer les pots cassés de cette pandémie.
A commencer par le fait que les autorités ont laissé le libre arbitre aux employeurs de poursuivre leur activité à condition de prendre toutes les précautions de sécurité et de sûreté sanitaire des travailleurs.
Si un travailleur juge que les mesures prises par l’entreprise sont insuffisantes et sent sa vie menacée, il ne peut tout de même pas refuser de se rendre à son travail.
Cette possibilité est garantie par l’article 13 de la Convention (n° 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs datant de 1981 de l’Organisation Internationale du Travail qui dispose « Un travailleur qui s’est retiré d’une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un péril imminent et grave pour sa vie ou sa santé devra être protégé contre des conséquences injustifiées, conformément aux conditions et à la pratique nationales ».
Dans la législation nationale du travail, cette possibilité de libre arbitre du travailleur n’existe pas et il devra dès lors recourir à l’inspection du travail comme prévu dans le chapitre II du Code de travail (articles 539 à 545) relatif à la constatation des infractions. Or, les autorités n’ont pas établi un cahier des charges précis à faire respecter par les entreprises et les activités qui poursuivent leur activité malgré la crise sanitaire.
A défaut, refuser de se rendre au travail peut être assimilé à un refus délibéré et injustifié du salarié d’exécuter un travail de sa compétence, ce qui est une faute grave justifiant un licenciement conformément à l’article 39 du Code du Travail marocain.
En temps normal, un employeur ne peut en aucun cas toucher aux salaires de ses employés bien que la flexibilité des salaires est un vœu inavoué des patrons au Maroc. Or, face à la pandémie, les travailleurs ont le choix entre la peste ou le choléra. La machine tournant au ralenti, les entreprises peuvent recourir à la réduction des heures de travail, conformément à l’article 185 du Code du travail.
Là encore, comme constaté par exemple dans le secteur des médias, certaines entreprises ont imposé à leurs employés de signer des accords sans consultation des délégués des salariés, ni des représentants des syndicats au sein de l’entreprise alors que les retombées de la crise ne se sont pas réellement fait sentir.
Idem pour la réduction des salariés telle que prévue dans l’article 66 du Code du travail, ce qui appelle à une plus grande vigilance de la part de la tutelle à ce que cette pandémie ne soit pas exploitée à mauvais escient.
Seule exception, pour les entreprises qui ont arrêté temporairement leur activité sur ordonnance administrative et qui peuvent réellement invoquer le cas de force majeure.
La situation actuelle que nous vivons est inédite, et demande que chacun porte un peu sur lui, mais elle ne doit pas être un prétexte à la dérive et à la violation des droits des travailleurs, car l’élément humain demeure le facteur clé pour assurer que la roue tourne à nouveau. La préservation de l’emploi est une condition sine qua non pour une relance rapide. Encore faut-il que la tutelle réfléchisse à des mesures de sauvegarde, comme le préconise l’Organisation internationale du travail, tant qu’il est encore temps.