A quelques semaines de la tenue des Assises sur la fiscalité, ce grand rendez-vous attendu avec impatience par la sphère économique, le groupe le Matin a organisé le vendredi 29 mars les matinales de la fiscalité sous la thématique : « Assises de la fiscalité : Grands principes, constats et attentes ». Le but étant justement de donner la parole aux professionnels et aux opérateurs pour débattre des enjeux et des attentes des prochaines assises. Cette rencontre était animée par Mohamed Berrada, président de la commission scientifique des Assises sur la fiscalité, Issam Maguiri, président de l’Ordre des Experts-Comptables, Mounchid représentant de la DGI et Mohamed Hdid, président de la Commission fiscale à la CGEM.
Dans son intervention Mohamed Berrada a tenu à rappeler qu’au fil des ans et à l’occasion de chaque Loi de Finances, des dispositions fiscales ont été introduites au fur et à mesure. Des dispositions qui ont malheureusement déformé le principe de la réforme fiscale à savoir la simplification, la cohérence et l’efficacité. Dans un contexte en pleine mutation marqué notamment par l’intelligence artificielle, il s’avère important voire déterminant de revenir sur les principes fondateurs de notre système fiscal.
Mais encore faut-il admettre que le système fiscal n’est qu’un instrument de la politique économique et sociale. A elle seule et de par sa complexité, la fiscalité ne peut pas résoudre les problèmes économiques et sociaux.
C’est là où le bât blesse ! Des dispositions sont parfois prises sans procéder à une évaluation de leur impact sur les différentes composantes de l’économie. C’est pour dire qu’il est judicieux d’adopter une approche globale pour avoir des résultats positifs. Nous pouvons ainsi donner l’exemple des Accords de Libre-Echange qui in fine n’ont pas eu d’impact sur les autres secteurs. D’ailleurs, valeur aujourd’hui, aucune évaluation n’a été faite pour effectivement mesurer leur impact sur les autres pans économiques.
En se posant la question, comment la fiscalité peut-elle résoudre nos problèmes économiques ? M. Berrada n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il estime que c’est au modèle de développement de définir la politique fiscale. Il recourt à ce titre à trois discours fondamentaux du Souverain. Le premier a trait au capital immatériel où l’accent est mis fondamentalement sur l’importance d’investir dans le capital humain qui souffre de plusieurs maux pour ne citer qu’un système éducatif défaillant. Le deuxième est le capital institutionnel, une mauvaise gouvernance et des administrations qui constituent souvent un facteur de blocage et enfin le capital social qui se caractérise par la non-cohésion sociale. De la conjugaison de ces problèmes découle une faible productivité (évolution de 0,1% par an), facteur important de la croissance économique. Autre boulet et pas des moindres que traîne le Maroc évoqués par le président de la commission scientifique est le problème du chômage endémique des jeunes.
Le constat est sans appel : Le taux de chômage des jeunes ayant un diplôme avoisine les 26% !
Tout cela pour dire que malheureusement notre économie n’a pas évolué dans des secteurs créateurs de richesses et d’emplois. En cause hormis quelques secteurs en l’occurrence l’automobile et l’aéronautique, le Maroc subit le phénomène de désindustrialisation qui détériore la création de l’emploi. Ce qui bien entendu nourrit les inégalités sociales, cette problématique que le Souverain, dans différents discours, appelle à y remédier en urgence.
D’année en année, on remarque que le Maroc, en dépit des réformes engagées, souffre d’un problème de qualité de sa croissance économique. Ajoutons à cela que notre croissance économique n’est pas impulsive et souffre de l’absence de l’existence d’un lien entre les politiques sectorielles.
Pis encore, elle est très mal répartie. Ce qui est tout à fait normal parce que dans un contexte où la croissance économique est faible, le facteur capital est mieux rémunéré que le facteur travail. Ce qui ne fait que détériorer les inégalités sociales.
« La fiscalité doit donc répondre à l’épineuse question : comment créer de la croissance pour plus d’emplois et réduire les inégalités dans le contexte d’un nouveau modèle de développement économique qui tarde à voir le jour ? », rappelle M. Berrada.
Du moment que la politique fiscale est une déclinaison du modèle économique, n’est-il pas plus judicieux d’attendre sa conception pour mieux définir les principes fondateurs de la politique fiscale ? Une interrogation qui a taraudé les esprits à l’occasion du débat.
Les prochaines assises sur la fiscalité doivent donc définir les grands principes à savoir encourager les investissements productifs, créateurs d’emplois permanents.
Le second point concerne les mécanismes à mettre en place que ce soit au niveau de la neutralité TVA qui ne doit pas être supportée par l’entreprise, l’impôt sur les sociétés IS où l’on constate des distorsions (0,8% des sociétés paient 80% des recettes de l’IS) ou encore 385 entreprises représentent 50% du chiffre d’affaires des entreprises qui déclarent leurs résultats.
Concernant l’impôt sur le revenu, on remarque que 60% de l’IR est lié à l’impôt sur les salaires à travers les prélèvements à la source.
Ajoutons à cela que les impôts indirects dépassent les impôts directs avec une TVA qui frôle les 60%. Pis encore, cette TVA est tirée essentiellement par celle à l’import.
Bref, le système fiscal actuel souffre de plusieurs distorsions qui font qu’une frange importante des opérateurs échappe à l’impôt. C’est vraiment tout l’enjeu des prochaines Assises de la fiscalité.
La redoutable cotisation minimale
La cotisation minimale a été créée dans les années 80 dans une période difficile où des entreprises déclaraient des résultats déficitaires. Actuellement, il faut changer d’approche parce qu’effectivement, beaucoup d’entreprises souffrent d’une conjoncture économique très difficile et si l’on leur fait payer 0,7% (vs 0,5% en 2018) sur leur chiffre d’affaires, on risque de les rendre dans une situation fortement délicate. Une situation à éviter à l’aune d’une conjoncture économique marquée par une forte défaillance des entreprises.
Mais comme l’a si bien dit Issam Maguiri, président de l’Ordre des Experts-Comptables : « l’Administration a les moyens de contrôler la fraude et donc cet impôt n’a plus aucune raison d’être ».
Une chose est sûre : La fiscalité est la fille servante de l’économie. La politique fiscale est certes l’affaire du gouvernement, de la Loi de Finances mais lors des prochaines assises, il faut penser aux principes fondateurs qu’il faut mettre en place pour une politique fiscale au service du développement économique. Et ce à travers les politiques fiscales prônées par les différentes composantes de la sphère économique.