Le moins que l’on puisse dire est que certaines lois doivent être revues de fond en comble pour être en conformité avec l’esprit de la constitution qui inscrit dans le marbre l’égalité des droits entre l’homme et la femme. Une égalité qu’on ne retrouve pas dans des textes comme le code de la famille au grand dam des femmes au Maroc.
Le Code de la famille fait partie de ces lois que certains qualifient de dépassé et caduc par rapport à l’esprit de la Constitution de 2011. Si l’on ne prend que l’exemple du chapitre III de ce Code, relatif aux conditions d’évolution de la garde et des causes de sa déchéance, on note une grande injustice envers la femme-mère qui perd le droit de garde de son enfant lorsqu’elle se remarie mais la déchéance ne frappe pas le père s’il se remarie !
Autrement dit, certains volets du cadre réglementaire sont purement et simplement anticonstitutionnels.
Pour sensibiliser l’opinion publique sur les affres subies par la femme marocaine en cas de divorce et le parcours de combattante qu’elle mène pour le droit de garde, l’association W-Lady, créée et présidée par Me Khadija El Amrani a pris son bâton de pèlerin pour ouvrir le débat en vue de changer ces lois discriminatoires. D’abord par le recours à la démocratie participative telle que prévue dans la constitution par les articles 14, relatif aux motions en matière législative, et 15, relatif à la présentation de pétitions aux pouvoirs publics.
Le travail ne s’arrête pas uniquement à ce stade, puisqu’un autre front est ouvert mais cette fois-ci au niveau des tribunaux en soulevant l’exception d’inconstitutionnalité sur certains procès en cours sur le droit de garde.
Aussi, depuis sa création il y a six mois, l’association W-Lady organise réellement des symposiums et des conférences pour briser l’omerta sur ce sujet particulièrement.
C’est dans ce sens qu’une conférence a été organisée sous le thème « L’Égalité des droits entre l’homme et la femme et la protection juridique des enfants au regard de la constitution de 2011 », animée par Ali Lahrichi, universitaire et docteur en droit.
Voilà 8 ans que la « nouvelle » constitution est entrée en vigueur mais la transition constitutionnelle, marquée par une mise en œuvre aléatoire de la constitution, s’avère plus longue sur certains sujets que d’autres, principalement en cause des priorités telles que pensées par le circuit législatif. En témoigne la lenteur de l’avènement des lois organiques et des textes d’application de la Constitution, particulièrement sur les questions relatives à l’égalité femme/homme, aux droits et libertés…
En quoi la constitution de 2011 est-t-elle révolutionnaire ?
C’est la première fois dans une constitution marocaine que les questions relatives à l’égalité femme/homme, aux droits et libertés sont citées dans le préambule et font l’objet de toute un titre, le titre II qui comporte 22 articles dédiés, et arrive avant le titre III consacré à la Royauté. C’est dire l’importance accordée en haut lieu à cette question d’égalité et des libertés consacrée dans la constitution de 2011.
Dr Ali Lahrichi a souligné au début de son intervention que « les droits de l’Homme et les libertés fondamentales représentent un patrimoine juridique commun de l’humanité, qui constitue quant à lui, l’un des fondements essentiels des sociétés démocratiques ». Une dynamique dans laquelle s’inscrit le royaume.
La thématique abordée lors de cette rencontre se situe dans le premier volet concernant les libertés physiques et principalement dans l’axe consacré au droit à l’égalité et ses aménagements, précise-t-il.
Pour mieux comprendre le principe du droit à l’égalité et ses aménagements dans les normes internationales et son application selon les normes constitutionnelles et juridiques marocaines comparativement à d’autres pays, le conférencier a explicité successivement à l’assistance que le principe de l’égalité de droit implique impérativement un droit à l’égalité entre toutes les catégories de la société, et pas uniquement sur l’approche genre.
Ainsi, le principe d’égalité implique en premier lieu « l’égalité de tous devant la loi ». Ce fondement est consacré par la Constitution marocaine de 2011 dans son article 6, qui énonce quant à lui cette égalité d’abord entre toutes les personnes physiques et morales devant la loi : « La loi est l’expression suprême de la volonté de la Nation. Tous, personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elle et tenus de s’y soumettre (…) », rappelle A. Lahrichi.
En second lieu, l’égalité doit être garantie dans tous les domaines de la vie, pour toutes les citoyennes et tous les citoyens, par les pouvoirs publics, qui doivent œuvrer à la création des conditions qui permettront selon le même article 6 de : « (…) généraliser l’effectivité de la liberté et de l’égalité des citoyennes et des citoyens, ainsi que de leur participation à la vie politique, économique, culturelle et sociale ».
Ce principe de l’égalité pour être effectif, il trouve son pendant dans le principe de la non-discrimination, qui est en effet, stipulé d’une manière explicite dans la Constitution marocaine, qui appelle les pouvoirs publics à œuvrer pour bannir toutes les formes de la discrimination. « (…) bannir et combattre toute discrimination à l’encontre de quiconque, en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l’origine sociale ou régionale, de la langue, du handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit;(…) ».
On en est loin encore au regard de certains textes de lois et surtout de l’implication des différentes composantes de la société à s’y investir.
Tout en soulignant l’opposition entre l’égalité réelle et l’égalité formelle, le conférencier mentionne le recours paradoxal à la discrimination pour atteindre une parité de fait applicable à tous les secteurs de la vie sociale… dans le texte constitutionnel, précisons-le.
Ali Lahrichi prend l’exemple de la parité politique, consacrée dans la constitution. Ainsi, dans son rapport de février 2019, l’Union interparlementaire classe le Maroc au 98ème rang (La Tunisie est classée 30ème) sur 193 pays avec seulement 81 femmes sur 395 députés, le 1/5ème (20,5%), dans la Chambre des représentants après les législatives de 2016 et le 1/10ème (11,7%) seulement dans la chambre des conseillers soit 14 femmes sur 120 Conseillers, soit 11,7%. « A titre comparatif, le Rwanda, occupe le premier rang avec 61,3 % dans la chambre basse et 38.5 % dans la deuxième chambre », avance le conférencier. Et d’ajouter, « Le Maroc reste à la traîne avec des inégalités entre les sexes dans le monde du travail, de l’éducation, de la santé et de la vie sociale. Selon le rapport du Forum économique mondial (WEF), le Maroc est classé 137e sur 149 pays en 2018 et 136e en 2017 sur 144 pays ».
Pour aboutir à la conclusion que malgré cet arsenal juridique, constitutionnel et réglementaire, l’égalité en droit dans la vie sociale, professionnelle, ainsi que la parité entre hommes et femmes, restent très approximatives.
Pour lui, une révision de la Constitution militerait en faveur de la mise en place des lois qui institutionnalisent cette égalité des droits.
Quid des droits des enfants ?
Dr Ali Lahrichi cite particulièrement deux articles de la Constitution de 2011, les articles 32 et 34. Le premier « assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale et prévoit la création d’un Conseil consultatif de la famille et de l’enfance », soutient-il. Alors que le deuxième, dispose que les pouvoirs publics élaborent et mettent en œuvre des politiques destinées aux personnes et aux catégories à besoins spécifiques. A cet effet, ils veillent notamment à traiter et prévenir la vulnérabilité de certaines catégories de femmes et de mères, d’enfants et de personnes âgées…
Si un de ces droits est mis en danger, Ali Lahrichi explique que les possibilités de recours à l’exception d’inconstitutionnalité soulignant qu’à ce niveau la constitution, puisqu’elle consacre ce droit à travers l’article 133 qui stipule expressément que la Cour Constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Et une loi organique fixe les conditions et modalités d’application du présent article. Pourtant, ce recours n’aboutit pas à la lumière des témoignages de certaines membres de l’association W-Lady.
D’où l’importance des motions et pétitions qui ancrent la participation citoyenne au changement. Le combat ne fait que commencer !