La nouvelle tarification que vont appliquer les experts-comptables à leurs clients à partir du 1er janvier 2020, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises et établissements publics, reste sujette à certaines remarques et pas des moindres. Et pourtant elle s’avère judicieuse pour la profession.
L’année 2020 se veut déterminante pour le Maroc qui, malgré toutes les réformes déployées, a raté le virage de l’émergence. Aujourd’hui, avec en bandoulière un nouveau modèle de développement, les pouvoirs publics accordent une importance particulière à l’entreprise comme étant le noyau dur du système économique pour créer de l’emploi et de la richesse. Dans cette nouvelle configuration, le rôle de l’expert-comptable n’est plus à démontrer. Il ne faut surtout pas oublier que c’est sur la foi de sa signature que des marchés sont attribués et des crédits sont accordés. Autrement dit, le Maroc à l’aune de la mondialisation a besoin d’entreprises fortes, résilientes et surtout compétitives.
Toutefois, en vue de mener à bon escient son audit et eu égard à l’ampleur du travail à accomplir, le commissaire aux comptes devra être rémunéré à la hauteur de la charge de sa mission. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
C’est dans cette optique que le Conseil national de l’Ordre des experts-comptables décide de fixer un taux moyen horaire minimum de 500 DH HT pour les missions de l’audit légal et contractuel. Un courrier a été adressé à l’ensemble de la profession pour rappeler les honoraires rémunérant les prestations de l’audit et ce conformément à la norme professionnelle « Budget-Temps et Honoraires », entrée en vigueur en avril 2003. Comme annoncé, cette norme sera appliquée à tous les mandats contractés ou renouvelés à partir du 1er janvier 2020.
Là où le bât blesse !
Cette tarification que devront appliquer les experts-comptables à leurs clients surtout lorsqu’il s’agira d’entreprises et établissements publics reste sujette à certaines remarques et pas des moindres. La première est que généralement les missions d’audit d’un établissement public prennent la forme d’un marché qui est souvent accompagné d’une estimation administrative. A rappeler que ladite estimation est fixée par le maître d’ouvrage sur la base d’un ensemble d’éléments économiques qui la confortent et même sur l’historique tarifaire si la même prestation d’audit est réalisée antérieurement lors des exercices précédents. L’article 5 du décret sur les marchés publics stipule que l’estimation soit établie sur la base des prix pratiqués sur le marché en tenant compte de toutes les considérations et sujétions concernant notamment les conditions et le délai d’exécution. Or, si la profession applique à partir de l’année prochaine soit 2020 cette norme professionnelle, on risque de se retrouver avec des offres de la part des experts-comptables qui dépassent l’estimation administrative. Autrement dit, on peut se retrouver avec des offres excessives qui risquent d’être rejetées.
Du coup, des marchés d’audit pourraient éventuellement pâtir de l’absence de preneurs ou d’auditeurs. La question qui se pose d’emblée dans ce cas de figure : l’Ordre des experts-comptables (OEC) a-t-il concerté avec la Direction des Etablissements et Entreprises publiques avant l’application de la présente norme pour que les budgets arrêtés pour l’année 2020 en tiennent compte. Si ce n’est trop tard parce que nous savons que les budgets des EEP au titre de l’année 2020 ont d’ores et déjà été arrêtés. Interrogé à ce sujet, Issam Maguiri, président du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables explique qu’aucune concertation n’a été effectuée avec la DEPP parce que la fixation des tarifs relève des prérogatives de l’OEC. Et d’enchaîner: « Au cas où l’offre est excessive, elle sera rejetée par le maître d’ouvrage. Il s’agit d’une disposition qui, certes dans le court terme, ne peut avoir l’effet immédiat mais dans le moyen terme l’équilibre sera rétabli ». Une chose est cependant sûre : l’auditeur ne peut continuer à faire l’audit à des tarifs dérisoires mais encore faut-il que les professionnels se responsabilisent et accomplissent leur devoir avec toute la compétence et la transparence requise dans le milieu des affaires.
Autre interrogation importante : cette fixation tarifaire ne devrait-elle pas être soumise au Conseil de la concurrence, comme ce qui a été fait récemment pour les notaires, au risque de prendre la forme d’une entente à même de biaiser le principe de la concurrence au sein de la profession ? A cette préoccupation, Issam Maguiri explique que lorsqu’il s’agit d’un minimum régi par un texte réglementaire, il n’est pas soumis au Conseil de la concurrence.
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