Écrit par Lamiae Boumahrou |
Suite à la décision du 8 février de l’Office des changes concernant l’élargissement du champ d’intervention des bureaux de change pour diversifier leurs revenus et compenser les pertes qui se chiffrent en millions de DH, la Fédération Nationale des associations régionales des bureaux de change (FNAR) annonce une grève nationale le 5 mars. Décryptage d’un combat de longue haleine mené par un secteur en désarroi, ruiné par la Covid et abandonné par l’Office des changes.
Bien que l’Etat ait prolongé les mesures de soutien à 8 secteurs toujours touchés par la crise, il a laissé à l’abandon beaucoup d’autres. Des secteurs qui sont en arrêt total de travail soit à cause de décision gouvernementale, soit en raison de la crise qui persiste mais sans bénéficier d’aucune aide.
Parmi les oubliés du gouvernement, le secteur des bureaux de change qui s’est retrouvé en arrêt total d’activité depuis pratiquement une année. Le secteur est frappé de plein fouet par la fermeture des frontières, l’absence de touristes mais aussi des MRE.
C’est un combat de chaque jour que mènent les opérateurs du secteur pour sortir d’une impasse et trouver une alternative à une activité en hibernation. Malheureusement malgré les nombreuses sollicitations aussi bien du chef de gouvernement, des ministres concernés ainsi que l’Office des changes pour sauver le secteur de la faillite, les bureaux de change se sont retrouvés dos au mur, laissés à leur propre sort.
La Fédération Nationale des associations régionales des bureaux de change (FNAR) a pourtant frappé toutes les portes pour faire entendre sa voix. Mais en vain. Pis encore les promesses de la tutelle qui n’est autre que l’Office des changes, pour accompagner le secteur à sortir la tête de l’eau, sont restées lettre morte.
Désemparée face à une politique d’ignorance et d’indifférence au sort du secteur, la Fédération décide de monter au créneau en annonçant une grève préventive générale le vendredi 5 mars. Une grève pour dénoncer un statu quo qui pénalise un secteur qui compte plus de 5.000 employés et qui joue un rôle de 1er ordre sur le plan économique en drainant aux finances du pays 80% des devises en billets de banque collectées auprès des MRE et des touristes étrangers. Une lettre a été adressée au ministère de l’Intérieur ainsi qu’aux Walis pour justifier les raisons de cette démarche.
Les raisons d’un ras-le-bol
Pour mieux comprendre les raisons de cette grève, il faut remonter à environ 7 mois soit en juillet 2020. Se retrouvant en arrêt total d’activité en raison de la conjoncture marquée par la crise sanitaire, la Fédération avait sollicité l’Office des changes afin qu’il puisse élargir le champ d’activité du secteur dans l’optique de diversifier ses revenus et compenser les pertes. En une année, chaque entreprise de change a perdu au minimum entre 100.00 à 300.000 DH.
Pour stopper cette hémorragie, la Fédération a demandé de revoir le cahier des charges régissant l’activité de change manuel notamment la disposition obligeant les bureaux de change à avoir comme objet unique au niveau de leur statut « le change manuel ».
Après plusieurs réunions, l’Office avait fini par s’engager à accompagner le secteur dans cette voie. Mais ce n’est que de la poudre aux yeux dénonce le président de la FNAR, Abdeslam El Yamlahi. Contacté par nos soins, il déplore la procrastination de la tutelle à trouver une solution concrète à cette situation.
« Depuis le 14 juillet 2020, date à laquelle l’Office des changes s’était engagé par courrier à accompagner les bureaux de change pour développer leur activité en vue de surmonter les effets de la pandémie, nous n’avons toujours pas eu de réponse à nos demandes. Nous avons également saisi le chef de gouvernement, le ministère des finances en sa qualité de président du CVE, la ministre du Tourisme, le ministre de l’Emploi… pour accorder l’indemnité forfaitaire aux employés du secteur main en vain », précise Abdeslam El Yamlahi.
L’engagement (dont EcoActu.ma détient une copie) de l’élargissement du champ d’intervention a toutefois été conditionné par l’impératif de conclure des partenariats entre les bureaux de change et les établissements de paiement qui sont à la base des concurrents.
« Pour conclure des partenariats, nous avons fait des mains et des pieds pour toucher ces entreprises qui sont à la base nos concurrents sur le change mais qui eux bénéficient d’autres activités diverses. Rappelons que depuis 2016, Bank Al-Maghrib avait élargi leur champ d’intervention relatif aux opérations de paiement pour ne citer que le e-gov, le m-wallet…», annonce Abdeslam El Yamlahi.
Difficilement, la Fédération est toutefois parvenue à convaincre deux sociétés à nouer des partenariats avec les bureaux de change. « Nous avons demandé à ce que ces sociétés signent des contrats de convention avec les bureaux de change ce qui leur permettraient de traiter en plus de l’activité de notre catégorie A (qui est le change manuel) les activités B et C qui sont celles des établissements de paiement », tient à préciser le président de la FNAR.
Des accords qui permettraient aux opérateurs d’au moins couvrir leurs charges de loyer qui sont très élevées notamment pour les locaux se trouvant dans les aéroports et les gares.
Ainsi 2 accords ont été mis à la disposition de l’Office des Changes en date respectivement du 28 septembre 2020 et du 28 décembre 2020 pour donner son accord. L’engagement de donner suite à cette demande d’une semaine par l’Office n’a malheureusement pas été honoré. Ce n’est que 2 mois plus tard que la sentence tombe. Une douche froide pour les bureaux de change qui n’en reviennent toujours pas.
Dans un courrier envoyé le 8 février et que la Fédération n’a reçu que 15 jours plus tard (dont EcoActu.ma détient une copie), l’Office précise qu’il « est prédisposé pour le traitement des demandes de conversion de l’agrément catégorie « A » délivré aux bureaux de change requérants, en catégorie « C » délivré aux agences mandataires des établissements de paiement et ce sur la base, d’un contrat de mandat à conclure individuellement par chaque bureau de change avec un établissement de paiement dûment agréé par Bank Al Maghreb ».
« En d’autres termes, après 5 mois d’attente, l’Office nous répond enfin pour nous annoncer le retrait de la catégorie A, qui est un acquis de plus de 13 ans qui nous donne une autonomie financière et de gestion, et de nous soumettre à nos concurrents », décrie Abdeslam El Yamlahi.
L’Office propose la conversion totale de l’agrément initial en catégorie « C » relative aux agents mandataires des établissements de paiement ce qui équivaut en somme à l’abandon de la proposition de base d’une convention de partenariat avec un tel organisme et donc la perte totale du statut des bureaux de change en tant que société de change autonome.
« La solution tant simple proposée d’un ajout à notre statut d’une activité connexe est ainsi mise de côté, nous condamnant de fait à se soumettre au contrôle total de nos actuels concurrents et à la disparition de tout un pan de l’économie, qui joue un rôle stratégique et qui constitue la seule source de revenus de plus de 5000 familles pendant cette période exceptionnelle », dénonce la Fédération. Et c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour un secteur qui se sent livré à lui même et trahi à la fois.
Pour comprendre les motivations de cette décision de l’Office des changes, nous avons contacté son Directeur Hassan Bouknadel, mais en vain. A suivre !