Un peu plus de deux ans après la première phase de la flexibilité du Dirham, des questions reviennent en boucle chez nombre d’économistes et d’analystes : pour quand le prochain élargissement de la bande de fluctuation du DH ? Les fondamentaux économiques sont-ils assez favorables pour passer à la deuxième phase ?
Des questions qui méritent d’être posées à l’aune d’un contexte international empreint de tensions géopolitiques, de conflits commerciaux … et d’une conjoncture nationale marquée par une balance commerciale déficitaire, une atonie de la demande et un taux d’inflation au-dessous de la barre des 2%. La parité du DH dans la limite de sa convertibilité relative vis-à-vis de l’Euro et du Dollar (à l’intérieur d’une bande de fluctuation de (-/+ 2,5% contre -/+ 0,3% auparavant) devrait présenter des avantages pour les exportations marocaines qui progressent certes mais d’une manière non proportionnelle aux importations.
Avec la libéralisation progressive du contrôle des changes, un second élargissement de la bande de fluctuations des cours de change du Dirham par rapport aux devises étrangères, Dollar et Euro, devant aller de pair, boosterait les avoirs extérieurs du Royaume. Chiffres à l’appui, force est de constater qu’au cours des dernières années la position extérieure globale n’a eu cesse de se détériorer. Il ressort du rapport annuel 2018 relatif à la balance des paiements et la position extérieure globale du Maroc que le Royaume dégage une situation nette débitrice de 735,9 Mds de DH contre 703,4 Mds de DH à fin 2017. A fin décembre 2019, le déficit commercial a affiché une hausse de 1,5% ou 2.994 MDH.
En ce qui concerne les réserves internationales nettes, elles ont progressé de 6,5% en décembre 2019 (vs 7,3% en novembre). Leur stock s’est ainsi situé à 245,6 Mds de DH, soit l’équivalent de 5 mois et 8 jours d’importations de biens et services.
Que dire des fondamentaux ?
Cette situation n’a pas laissé indifférents les pouvoirs publics qui ne savent plus à quel Saint se vouer à telle enseigne que la révision des ALE est depuis quelques temps le plat de résistance des différentes rencontres de la sphère économique. La question relative au timing de la seconde phase de la flexibilité du Dirham se pose également chez bon nombre d’observateurs et d’analystes. Pour le Wali de BAM, le séquencement des étapes de la flexibilité ne dépend pas d’un timing mais plutôt de prérequis. Autrement dit, l’évolution d’une séquence à une autre se fera seulement lorsque les conditions fixées sont atteintes. D’emblée, Abdellatif Jouahri a informé lors du 4ème Conseil de BAM de 2019, que la deuxième phase d’élargissement sera encore plus importante que la première.
Interrogé à ce sujet à l’occasion d’une interview accordée à EcoActu.ma sur le diagnostic de la situation économique, Fréderic Louat, Directeur du cabinet Riser Maghreb, fait savoir que le timing approprié à un éventuel élargissement est le moment où les acteurs économiques ne s’attendent pas à une modification du régime de change. « En effet, si les acteurs économiques anticipent des modifications, ils ont tendance à spéculer sur un affaiblissement de la devise, ce qui complique l’adoption effective de la modification », tient-il à expliquer. Et d’enchaîner : « Donc le moment propice pour le passage vers la deuxième phase de la flexibilité du dirham sera quand il prendra les acteurs économiques par surprise ».
En ce qui concerne les fondamentaux, le Directeur du cabinet Riser Maghreb estime qu’ils sont aujourd’hui favorables pour permettre à Bank Al-Maghrib de choisir son moment pour élargir la bande de fluctuation du dirham.
Il cite en premier lieu les réserves de change qui sont à un niveau relativement confortable, à plus de 5 mois d’importations, notamment après la sortie réussie du Trésor marocain sur les marchés internationaux en novembre dernier pour 1 milliard d’euros. Il argue également ses propos par le fait que le dirham est ancré sur un panier de devises (l’euro et le dollar) dont les pondérations respectives reflètent assez bien la proportion relative de ces devises dans les échanges extérieurs du Maroc. Il va même jusqu’à considérer que l’absence d’échéance électorale au Maroc en 2020 peut faire de cette année une période particulièrement propice pour entamer la phase suivante de la flexibilité du Dirham.
Le timing est-il propice ?
Même son de cloche, chez l’économiste et spécialiste des relations internationales, Stéphane Colliac. Ce dernier estime qu’aujourd’hui, le Maroc peut élargir davantage sa bande de fluctuation. Avant la première opération, il y avait beaucoup de réticence et d’appréhensions ; et la réforme a dû être repoussée dans le temps, mais au demeurant ces deux dernières années ont montré que ce n’était pas si grave finalement. En dehors d’un choc exogène important, pouvons-nous nous targuer que le DH ait fait preuve de résilience ?
« Pour un pays exportateur qui risque de subir à tout moment des chocs externes, il est important que le taux de change puisse bouger », explique notre source. Parce que le jour où le Maroc subit un choc externe négatif, son taux de change devrait se déprécier pour l’aider à récupérer la compétitivité. Pour l’instant, cela ne pose pas de problème, mais à terme il peut y avoir un problème de perte de compétitivité. Un taux de change qui ne bouge pas assez pourrait être dangereux parce que les opérateurs n’ont pas conscience du risque de change et, du coup, ne se couvrent pas assez. Il faut justement qu’il bouge pour que le risque soit perçu, que l’outil existe et que les opérateurs prennent les couvertures nécessaires. Une flexibilisation supplémentaire est donc souhaitable et même acceptable étant donné la stabilité qu’a montrée le DH.
Un voeu légitime étant donné qu’avec une bande de fluctuation très faible, la perception de ladite flexibilité n’est toujours pas palpable par les opérateurs et encore moins par le citoyen.
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