La Cour des comptes au Maroc fait les choux gras de la presse par ses rapports croustillants qui donnent à boire et à manger vu le nombre important des missions de contrôle de la gestion des organismes publics et d’évaluation des programmes publics. Mais son dernier rapport de l’année 2018 lui a attiré des foudres. En cause le contrôle de la gestion du plan Halieutis sur la période 2010 à 2016, l’ONSSA, la filière oléicole, l’extension de l’irrigation… Pour certains, c’est le ministre Aziz Akhannouch qui serait dans le viseur, notamment à l’approche des législatives.
Accuser la Cour des Comptes de partialité, c’est véritablement pousser loin le bouchon. D’autant plus que les arguments avancés ne révèlent rien de cette thèse avancée.
L’un des éléments qu’il ne faut pas perdre de vue est que le rapport est délibéré au sein d’un conseil avant sa publication, comme le stipule la loi n° 62-99 formant code des juridictions financières. Difficile dès lors de faire adhérer tous les membres de ce conseil à une quelconque vendetta contre le Président du RNI.
Aussi, l’article 52 de ladite loi stipule-t-il que « Ne relèvent pas de la juridiction de la cour en matière de discipline budgétaire et financière, les membres du gouvernement et les membres de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers, lorsqu’ils agissent es-qualité ».
Par ailleurs, le programme annuel des travaux de la cour est préparé et arrêté par le comité des programmes et des rapports, avant d’être approuvé par le président de la cour en coordination avec le procureur général du Roi en ce qui concerne les affaires relevant des attributions juridictionnelles de la cour. Pourquoi par ailleurs, les départements de tel ou tel ministère échapperaient-ils à un tel contrôle ? Tous finissent par y passer un jour ou l’autre.
Les loupés de la Cour des comptes
Cela dit, la Cour des comptes en tant qu’institution peut être critiquée sur plusieurs aspects de ses missions et dans l’élaboration de ses rapports, qui in fine ont pour finalité la vérification des comptes des services de l’Etat et de ses établissements.
Si dans le cadre du renforcement de la transparence des finances publiques, tel qu’introduit par la loi organique des finances, la Cour des comptes a fait un travail remarquable pour réduire la durée entre l’exercice contrôlé et la diffusion du rapport de contrôle à une année, depuis 2018 année qui a vu la publication des rapports de 2016 et 2017, la date de parution reste aléatoire. Il est judicieux dans ce sens de fixer, par voie réglementaire de préférence, la date de parution du rapport annuel pour éviter qu’on interprète la publication comme répondant à un quelconque Agenda politique.
L’une des remarques, pour ne pas dire l’un des reproches que l’on peut faire également à la Cour des comptes est qu’elle est devenue un « ange des péchés ». Ses rapports se concentrent sur les points de dysfonctionnements mais les bons élèves méritent d’être loués également si les missions de contrôle ne relèvent pas de dysfonctionnement. Rien n’oblige la cour à se limiter aux remarques négatives dans ses rapports. En effet, de mémoire, aucun rapport ne relate le contrôle d’un établissement irréprochable pourtant il doit bien exister au Maroc de bons élèves.
Pis, les lecteurs du rapport annuel s’attardent souvent sur les faits saillants, ce qui pose un sérieux problème d’équité envers le droit de réponse des entités contrôlées. Quand on présente une anomalie il faut insérer juste après la réponse de l’établissement concerné pour permettre au lecteur de voir immédiatement le rapport contradictoire pour se constituer une idée objective de ce que révèle la mission.
C’est en quelque sorte jeter les responsables de ces entités à la vindicte populaire !
Paradoxalement, cet effort de transparence de la communication de la cour des comptes s’arrête à la parution des rapports. Or, pour équilibrer l’effet de ses rapports sur les entités contrôlées, la Cour des comptes doit également informer sur le suivi des dossiers notamment ceux déférés devant la justice.
Mieux, comme il se fait sous d’autres cieux, le rapport de l’année d’après doit être accompagné d’un rapport du suivi des recommandations formulées par cette Cour. Sauf si l’on aime donner des coups d’épée dans l’eau !
Venons-en aux attributions de la Cour. Elle s’assure de la régularité des opérations de recettes et de dépenses des organismes soumis à son contrôle en vertu de la loi et en apprécie la gestion. Elle sanctionne, le cas échéant, les manquements aux règles qui régissent lesdites opérations.
Pourtant à la lecture des rapports de la cour des comptes, l’on ne peut s’empêcher de faire le constat qu’ils sont très regardants sur la dépense et un peu moins, voire rarement sur la recette. A titre d’exemple, les rapports s’attardent sur les vérifications des marchés, le respect des engagements de la dépense, le respect de la réglementation en matière d’exécution des marchés … mais quasiment peu d’éléments sur le volet de la recette.
Le péril est que les établissements par la force des choses vont également être très attentifs à la recette et non à la dépense, ce qui ouvre la voie à d’éventuelles dérives. Il est d’ailleurs très difficile de détecter une fraude au niveau de la recette, d’autant qu’encouragée par la fixation de la cour des comptes sur la dépense.
Autre effet pervers en plus de celui de la gestion de la recette, est le manque de contrôle du recouvrement au niveau des établissements publics et par conséquence des créances tombent en prescription faute justement de recouvrement. Ce volet mérite une plus grande attention dans les missions de contrôle et dans la rédaction des rapports de la Cour des comptes, dans un contexte où les ressources financières de l’Etat se font de plus en plus rares.
Aussi, la Cour des Compte gagnera-t-elle à ce que ses jugements se fassent par référence à la loi et non sur la base de suspicion ou de présomption. Le cas de la clé USB de Amara est édifiant. La loi dispose que pour faire une commande, il faut trois devis contradictoires, comme le stipule le décret des marchés publics. Chose que le ministère assure avoir respecté à la lettre. Dans ce même ordre d’idée, la contextualisation des faits dans le temps revêt une importance cruciale. Ces deux éléments précités auront tendance à éviter de créer des polémiques.
Paradoxalement, sur les marchés publics la vérification en aval, ne doit pas se limiter au strict respect de la réglementation mais aller au-delà en contrôlant la performance de la dépense et son efficacité (hôpital non équipé, école non utilisée…).
La programmation des projets et leur schéma directeur échappent également aux magistrats de la cour lors des audits. Il faut assurer un contrôle de la pertinence et de la faisabilité des projets notamment technique.
Toujours est-il qu’il faut être sincère pour dire que cet effet épouvantail des rapports de la Cour des comptes a un effet salvateur, dans la mesure où il appelle à une plus grande régularité et une sincérité des comptes de l’Etat.
Mais l’ultime question qui persiste est : qui contrôle la Cour des comptes au Maroc ?
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