Continent riche de sa ressource humaine et de ses ressources naturelles, l’Afrique demeure une zone qui cherche encore sa voie face à des géants anciens et nouveaux et qui tirent les ficelles de la conjoncture économique mondiale. À l’occasion de la 8ème édition de la Conférence internationale “Atlantic Dialogues”, Aminata Touré, Présidente du Conseil économique, social et environnemental et ancienne Premier ministre du Sénégal a souligné que si le « Common interest » prévaut dans le modèle de la Zleca, la situation changera radicalement.
Ecoactu.ma : Dans votre intervention, notamment sur le volet relatif à la conjoncture économique mondiale, vous avez évoqué des zones d’espérance faisant allusion à des pays africains qui ont amélioré l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’école notamment des petites filles… mais qu’en parallèle il y a également des zones d’incertitudes. Comment, dans un tel contexte, préserver tous les acquis évoqués voire les améliorer ?
Aminata Touré : De par l’histoire humaine, il y a toujours eu des zones de turbulences et de manière régulière. Avec le développement des nouvelles technologies notamment de l’information ces turbulences sont exacerbées et un problème local devient rapidement international et vis-versa. Mais, il y a raison d’espérer ! Si l’on regarde des pays comme le Maroc, le Sénégal et d’autres pays africains, on notera une amélioration notable de l’espérance de vie sur les 10 à 20 dernières années. Aussi, l’accès à la scolarité est-il universel, le cas notamment au Sénégal où l’accès au primaire est quasiment généralisé avec une dominance des filles. D’ailleurs, à l’issu de l’examen de sixième pour passer au collège, il y avait également plus de filles que de garçons au Sénégal. Pour une société à 97% musulmane, ceci est une illustration des changements opérés au niveau de la société.
L’on peut citer également l’accès à la santé : Il y a des pandémies pour ne prendre que l’exemple du VIH/Sida, on pensait que ça allait décimer l’Afrique, là on n’en parle presque plus puisque c’est une question réglée.
Concernant le développement des infrastructures en Afrique, il y a lieu de souligner que dans plusieurs villes africaines le niveau de l’équipement en infrastructures est proche de celui de l’Europe ; bien que nous ayons encore un grand fossé d’inégalité à combler.
Pour revenir à votre question, pour sauvegarder tous ces acquis et les élargir, il faut prêter une attention particulière aux groupes défavorisés, notamment dans les zones enclavées et dans les zones rurales, aux personnes à besoins spécifiques, et surtout aux jeunes.
Dans nos pays africains, 70% de la population à moins de 35 ans et par ricochet l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi est très important. Sur ce dernier point, il faut avoir un dialogue avec le secteur privé, le soutenir pour qu’il soit compétitif pour créer des emplois.
Il nous faut également en tant que pays du sud de développer dans l’originalité dans le sens d’identifier quel type d’activités économiques voulons-nous préparer pour être compétitifs. Ce sont des questions que nous devons voir ensemble.
Pour évoquer le cas du Maroc, le Royaume est en passe de revoir son modèle de développement. Quelle appréciation en faites-vous ?
Je me félicite de la décision de SM le Roi Mohammed VI d’organiser une concertation autour du futur économique du Maroc. Donc la commission bâtira un consensus sur la stratégie de développement et cette démarche participative est à mon sens très importante. Cela veut dire qu’une fois adoptée, tout le monde s’inscrira dans cette démarche.
Le défi est que le continent est un espace très hétérogène qu’il est difficile de synchroniser un pas de marche commune. Justement quels sont les secteurs sur lesquels les pays africains peuvent avancer ensemble ?
Le travail peut être mené à deux niveaux : les activités classiques et celles nouvelles. L’Afrique renferme 60% des terres arables, donc le continent est en passe de devenir le grenier du Monde. Or, nous ne pouvons pas faire de l’agriculture comme nos grands-parents, les jeunes encore plus. Il faut donc passer à des modèles d’agriculture plus sophistiqués. Et nous avons des exemples réussis, comme ici au Maroc.
Il faut explorer, surtout les jeunes, toutes les potentialités d’une agriculture moderne qui s’appuie sur les nouvelles technologies, sur le progrès et sur la recherche scientifique.
Sur les domaines de compétitivité classique, j’ai eu le plaisir de visiter l’Université Mohammed VI Polytechnique de Ben Guérir et j’ai pris connaissance des formations proposées et qui sont très avancées, ce qui nous permet d’être compétitifs d’abord pour régler nos problèmes et pour commercer entre nous.
Les échanges intra-africains sont à hauteur de 3%, alors que la moyenne sur les autres continents est de 60%.
Justement, l’Afrique amorce un important tournant avec la Zleca. Comment cette zone contribuera-t-elle justement à aplanir les difficultés du continent ?
Si avec la Zleca on arrive de passer d’un taux du commerce entre pays africains de 3% actuellement à 50 %, cela signifie que les richesses resteront au niveau du continent. Mais pas seulement puisque cette nouvelle zone devra également veiller à la protection des entreprises locales.
Mais tout dépendra du modèle qui découlera de cette zone, s’il est de « Commons interest » comme on dit, avec l’appréciation des intérêts des uns et des autres, on devrait avoir de bons compromis.
Comment mettre à contribution la richesse du sous-sol africain, allusion notamment faite aux récentes découvertes de gaz naturel sur la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie ?
Je voudrai saluer la sagesse dont ont fait preuve les deux chefs d’Etat qui, alors même que des recherches approfondies n’ont été menées pour situer ces nappes de gaz, ont décidé d’un partage équitable entre les deux pays. C’est cet esprit qui doit prévaloir en Afrique.
L’impact va être énorme d’abord en nous donnant une indépendance énergétique pour ne plus dépendre des fluctuations des prix à l’international ; c’est une énergie plus propre et cela va ouvrir de nouvelles perspectives, non seulement de création d’emploi mais de développement de la production, puisque le facteur énergie est le plus cher dans un processus industriel. Et par ricochet améliorer la compétitivité de nos entreprises. Ceci ne pouvait se faire sans un climat de paix…