Dans un contexte international empreint d’incertitudes, le Maroc ne sera pas à l’abri des vents forts qui vont souffler des Etats-Unis, de la Chine ou encore de l’Europe. Frédéric Louat, Directeur du cabinet Riser Maghreb, a révélé les menaces qui planent sur le Maroc.
EcoActu : La croissance économique mondiale présente des signes de décélération depuis 2018. Quels sont les principaux facteurs ayant conduit à une telle tendance non rassurante, d’autant plus que les projections économiques tablent sur un taux de croissance en 2019 des plus faibles depuis le début de la décennie ?
Frédéric Louat : Effectivement les perspectives économiques mondiales se sont significativement assombries depuis près de 9 mois sous l’effet combiné de quatre principaux facteurs.
Le premier facteur est lié à la Chine : le ralentissement économique en Chine se confirme et touche pour la première fois des secteurs, qui jusque-là étaient immunisés, notamment l’automobile. Nous avons constaté en 2018 une baisse de la consommation d’automobiles en Chine. C’est une tendance majeure étant donné que c’est la première fois depuis vingt ans que nous assistons à une contraction pareille.
Le deuxième facteur explicatif de ce tableau sombre est l’augmentation des taux d’intérêt américains. Cette hausse a un impact notamment un ralentissement de la croissance américaine qui elle-même tire la croissance économique mondiale. Le raffermissement du Dollar, conjugué à la hausse des taux américains, accroît le poids du coût de la dette essentiellement pour les pays émergents dont la dette est libellée en dollar.
Le troisième facteur est la guerre commerciale entre les USA et la Chine puisque les mesures protectionnistes entraînent le ralentissement du commerce mondial.
Le quatrième facteur concerne les incertitudes géopolitiques qu’il s’agisse de Brexit, de mouvements sociaux, de montée du populisme…autant de facteurs qui détériorent la confiance un peu partout dans le monde, notamment en Europe.
Les enquêtes de confiance, aussi bien auprès des chefs d’entreprises qu’auprès des ménages, montrent que nous sommes à des niveaux strictement bas. Or quand il n’a y pas de confiance, il y a beaucoup moins d’investissements et la consommation tourne au ralenti.
De votre analyse, il ressort une note de pessimisme argumentée par la conjugaison de plusieurs facteurs. Dans cette configuration, quel sera le sort du continent africain ?
On prévoit en 2019 une petite accélération de la croissance économique sur le Continent africain dans son ensemble. Ceci dit, il est difficile d’avoir une analyse globale de l’ensemble du continent. En parlant d’Afrique, il est utile de distinguer entre les pays exportateurs et ceux importateurs de pétrole. Evidemment, en fonction du prix du brut dans le monde, les pays exportateurs ou importateurs pourront avoir une situation plus ou moins favorable. Il faut également distinguer les pays endettés en dollars. Parce que comme j’ai dit l’augmentation des taux d’intérêt américains va renchérir le service de la dette et faire peser un poids financier important sur les pays africains endettés en dollars. Et enfin, il faut séparer les pays où il y a un effet de rattrapage. Des pays qui ont connu des crises politiques, des conflits armés, des guerres civiles… Donc, lorsque nous regardons la croissance en Afrique, on constate des taux élevés dans ces pays où il y a un effet de rattrapage après quelques années de morosité.
Dans un contexte empreint de toutes ces incertitudes, quelles sont celles qui planent directement sur l’économie marocaine ?
La première incertitude concerne les hydrocarbures à cause de la forte volatilité des prix. Les fondamentaux pencheraient plutôt vers une baisse des prix de pétrole en 2019. Ceci dit, il y a de grandes incertitudes et une situation géopolitique très compliquée dans plusieurs pays exportateurs de pétrole majeurs tels que l’Iran, le Venezuela…
Pour le Maroc, deux types de conséquences sont possibles : le premier est une aggravation du déficit courant si le prix du brut flambe. Et inversement, une amélioration du déficit courant, si le cours baisse. Ajoutons à cela, une hausse de la compensation à cause du gaz dont le cours est indexé sur celui du pétrole.
Le prix de la compensation sur le prix du butane peut ainsi sensiblement varier en fonction de l’évolution du cours du brut à l’international.
La deuxième incertitude majeure concerne la conjoncture automobile mondiale. Outre la Chine, la conjoncture en Europe est toute aussi morose. L’écosystème automobile est une source de croissance au Maroc. La morosité va-t-elle impacter la production automobile au Maroc ? Cela dépend de l’ampleur de la crise de la demande automobile dans le reste du monde.
Le troisième risque est relatif aux sources de croissance économique au Maroc en 2019. Aujourd’hui, nous sommes dans un schéma où la croissance est tirée vers le haut par la demande interne et très peu voire négativement par la demande externe. Si cette tendance est plus forte que nous l’anticipons, elle va impacter le déficit courant à des niveaux moins acceptables.
De quelle marge de manœuvre disposent les pouvoirs publics pour adopter une politique budgétaire plus résiliente aux chocs exogènes ?
Il faut rappeler que l’effort de baisse du déficit budgétaire a commencé depuis le début de la décennie et c’est un effort important en termes de confiance et de crédibilité de la politique gouvernementale. Ce serait très dommageable que cette tendance à la baisse des déficits ne se poursuive pas. Par nature la baisse du déficit réduit la marge de manœuvre dont disposent les autorités d’autant plus que l’hypothèse de croissance économique retenue dans la LF 2019 est plus optimiste que ce qu’on prévoit aujourd’hui.
Dernière contrainte est la LF 2019 à forte connotation sociale conformément aux orientations royales. Il s’agit d’une priorité dont le Maroc a vraiment besoin. Il devrait y avoir assez peu de marge de manœuvre pour que la politique budgétaire de gouvernement puisse se diriger vers d’autres types de dépenses au détriment de celles sociales.
La marge de manœuvre est clairement assez faible, et elle le sera encore davantage si une envolée du prix du brut accroît la pression sur les dépenses publiques de compensation sur le butane.
Le nombre des faillites a baissé légèrement (0,9%) au terme de 2018. Pouvons-nous espérer une autre baisse en 2019 si l’on prend en considération que le sujet commence à prendre de l’importance sur la scène politique. Ou ne faut-il pas trop espérer avec les vents contraires qui soufflent de l’Europe, principal partenaire du Maroc et surtout un taux de croissance de 2,9 % prévu pour 2019 ?
Effectivement, la baisse en 2018 est tout à fait remarquable à plusieurs points de vue. D’abord 2018 a vu une remontée des faillites un peu partout dans le monde et donc l’amélioration au Maroc est contracyclique. Le deuxième, même si c’est une baisse relativement limitée, c’est une rupture par rapport aux années précédentes puisque depuis plus d’une décennie, les faillites des entreprises n’ont pas cessé d’augmenter d’année en année. Bon an, mal an le nombre des faillites des entreprises a augmenté entre 15 et 20% par an. Donc même un chiffre proche de zéro est remarquable dans une tendance longue.
Mais, il ne faut surtout pas s’attendre à une baisse de faillites en 2019 puisque l’environnement n’est pas très favorable.
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