Interviewé par S. Es-Siari |
Revoir le modèle de la gouvernance financière publique est le mot d’ordre du colloque international des finances publiques tenu les 16 et 17 décembre dernier. Le professeur Michel Bouvier, directeur de la revue française des finances publiques alerte sur le risque de laisser se développer au fil de l’eau des finances publiques à l’abandon évoluant au gré de décisions prises au coup par coup dans l’urgence d’une crise inédite aux multiples facettes à laquelle ne seraient apportées des réponses adaptées.
Chaque jour qui passe apparaissent des imprévus qu’il y a quelques années, on ne pouvait même pas imaginer. Ces imprévus prenant parfois des formes de crises sévères ne sont exemptes d’impact sur les finances publiques. De plus en plus, on ressent que la nécessité de repenser le modèle de gouvernance des finances publiques.
Comme l’a si bien souligné le professeur Michel Bouvier à l’occasion du Colloque International sur les Finances Publiques sous le thème : « Quel modèle de gouvernance des finances publiques dans un monde multi-crises ? » : « Le monde d’aujourd’hui est en effet un monde en transition et aux crises multiples. Il fait l’objet depuis plus de quarante ans, de soubresauts successifs de plus en plus dangereux et de tout ordre, économiques, sociaux, sanitaires, géopolitiques… ».
Les effets de la crise sanitaire n’étant pas encore achevés qu’une nouvelle menace est apparue depuis la fin février 2022 avec le déclenchement du conflit russo-ukrainien. Depuis lors, on assiste à l’augmentation des prix du pétrole, du gaz et des matières premières entraînant dans leur sillage des spirales inflationnistes aux conséquences néfastes sur les équilibres financiers.
« Après tant d’années, les solutions pour l’après-crise ne sont toujours pas au rendez-vous. Rien n’est stabilisé. Rien n’est résolu sur le fond et cela pour tous les États. En d’autres termes, nous sommes en présence d’un basculement vers un autre modèle, d’une remise en question de nos institutions qui semblent parfois à bout de souffle », rappelle M. Bouvier.
Depuis plus de quarante ans, et à la différence des années qui ont immédiatement précédé – sauf à épouser tel ou tel préjugé ou idéologie rassurante – les concepts selon le professeur Bouvier se sont brouillés, les mots n’ayant pas toujours le même sens pour les uns et pour les autres.
Plus encore, des principes et des dispositifs qui s’apparentaient à de véritables tabous sont remis en question face à des défis auxquels il est urgent de répondre. Il en résulte qu’à un environnement déjà générateur d’incertitudes, les atermoiements et les va-et-vient d’un «prêt-à- penser » à un autre engendrent un surcroît d’incertitude.
Il n’existe, autrement dit, aucune boussole véritablement fiable permettant aux décideurs politiques, obligés de naviguer en plein brouillard, de piloter des finances publiques risquant à tous moments de partir à la dérive.
Les risques majeurs sont liés aux conséquences de la crise sanitaire et maintenant de la guerre d’Ukraine combinées à celle des épisodes de confinement en Chine qui provoquent, outre un désordre des échanges et de la chaîne d’approvisionnement, une pénurie des matières premières et une montée des prix de la situation.
Une chose est sûre : le modèle financier actuel est obsolète et ne s’adapte plus au contexte d’aujourd’hui de plus en plus complexe. Certains signes sont évidents et plusieurs tabous sont tombés pour ne citer que celui de la dette. Aussi, les critères de convergence en Europe sont-ils suspendus et vont être par ailleurs modifiés. Selon Bouvier, le monde est dans le brouillard en matière de gestion des finances publiques et ne peut continuer à bricoler longtemps.
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