Sur 84 pages de son rapport n°09/2019, publié ce 11 décembre en 23 langues, la Cour des comptes européenne a passé en revue le soutien financier de l’Union européenne, relevant peu de résultats à ce jour. Moins de la moitié des valeurs cibles associées à l’appui budgétaire ont été atteintes
Le soutien de l’UE en faveur du Maroc donne peu de résultats à ce jour ! C’est la principale conclusion retenue par la Cour des comptes européenne selon un nouveau rapport sur l’aide financière de l’UE en faveur du Maroc, versée directement sur le compte du Trésor public du pays de 2014 à 2018. Un rapport adopté par la Cour à Luxembourg lors de sa réunion du 14 novembre 2019.
Au total, l’appui budgétaire de l’UE en faveur du Maroc a représenté environ 0,37 % des dépenses budgétaires globales du pays sur cette période. Les secteurs concernés sont ceux de la santé, de la protection sociale, de la justice et du développement du secteur privé. La valeur des contrats conclus et des paiements effectués dans tous les secteurs couverts par l’appui budgétaire au cours de la période considérée s’élève respectivement à 562 millions d’euros et à 206 millions d’euros.
Dans son rapport de 84 pages, la Cour constate la faible valeur ajoutée de cette aide qui n’a pas permis de soutenir les réformes dans le pays.
Les auditeurs ont examiné la manière dont la Commission a assuré la gestion et la mesure dans laquelle les objectifs de l’appui budgétaire de l’UE ont été atteints, et estiment que la Commission a voulu répondre aux besoins recensés dans les stratégies nationales et de l’UE, mais qu’elle a réparti les fonds sur un trop grand nombre de secteurs, ce qui a pu en affaiblir l’impact.
Il faut dire et le rapport le soulève d’ailleurs que suite de l’arrêt rendu par le Tribunal de l’Union européenne en décembre 2015 concernant le Sahara, le Maroc avait suspendu le dialogue politique de décembre 2015 à janvier 2019. Conséquences, la Commission n’a pas mis cette période d’immobilité à profit pour élaborer une stratégie claire concernant ses relations avec le Maroc. Un dialogue sectoriel a bien été instauré, mais il n’était pas suffisant pour tous les secteurs, relève le rapport.
Sur le volet de gestion des programmes d’appui budgétaire en faveur du pays, les auditeurs estiment qu’elle a pâti de faiblesses dans la manière dont ils ont été conçus, mis en œuvre et suivis, ainsi qu’en matière d’évaluation des résultats.
Par ailleurs, le rapport s’est intéressé aux secteurs de la santé, de la protection sociale, de la justice et du développement du secteur privé pour vérifier si l’appui budgétaire accordé par l’UE pour les secteurs prioritaires au Maroc de 2014 à 2018 a été géré efficacement par la Commission et si les objectifs ont été atteints. « L’appui budgétaire de l’UE en faveur du Maroc n’a pas permis de soutenir suffisamment les réformes du pays et peu de progrès ont été accomplis en ce qui concerne les principaux enjeux », a déclaré Hannu Takkula, Membre de la Cour des comptes européenne et responsable du rapport. Et d’ajouter « Pour optimiser l’impact des financements de l’UE, la Commission devrait concentrer l’aide sur un plus petit nombre de secteurs et renforcer le dialogue politique et sectoriel avec le Maroc ».
« La Commission, qui avait analysé les besoins et les risques de façon appropriée, a considéré que l’appui budgétaire était le bon instrument pour octroyer l’aide au Maroc. En moyenne, l’appui budgétaire de l’UE s’élève actuellement à quelque 132 millions d’euros par an et représente environ 0,37 % des dépenses budgétaires annuelles du pays, ce qui limite son effet de levier dans l’ensemble », note le rapport.
Parallèlement, les auditeurs ont constaté que des crédits conséquents inscrits aux budgets des ministères restaient à dépenser, ce qui remet en question la valeur ajoutée de l’aide financière de l’UE. La Commission avait défini les trois secteurs prioritaires. Les auditeurs ont cependant constaté qu’ils comportaient 13 sous-secteurs, dont beaucoup pouvaient eux-mêmes être considérés comme des secteurs à part entière. Ils craignent qu’une définition aussi générale des domaines éligibles, couvrant un si grand nombre de secteurs, ne réduise l’impact potentiel de l’aide de l’UE. Ils soulignent également que la Commission n’a pas alloué les fonds aux programmes selon une méthode transparente et que le degré de coordination des bailleurs de fonds variait d’un secteur à l’autre.
Les programmes sont actuellement toujours en cours, mais ils n’ont pas produit d’impact notable à ce jour, étant donné que moins de la moitié de leurs objectifs chiffrés étaient atteints à la fin de 2018. En outre, un certain nombre de ces objectifs n’étaient pas suffisamment ambitieux pour soutenir de véritables réformes, puisqu’ils avaient parfois déjà été atteints (ou étaient en passe de l’être) lorsque les conventions de financement ont été signées. Les auditeurs ont relevé un manque de contrôles rigoureux lors de l’évaluation des résultats ainsi que des paiements effectués alors que les valeurs cibles n’avaient pas été atteintes ou que la situation s’était même détériorée.
Des performances très aléatoires
Le rapport souligne que dans l’analyse des risques de la Commission, on retrouve toutefois la corruption parmi les principaux risques résiduels. La Commission n’a pas pu traiter ce risque en s’appuyant sur un organe de lutte contre la corruption… C’est pourquoi elle l’a fait au travers de certains de ses programmes d’appui budgétaire, précise-t-on. Ainsi la dématérialisation des procédures dans le cadre du PACC a contribué par exemple à faire reculer la corruption, de même que certaines mesures et certains indicateurs des programmes d’appui budgétaire dans les secteurs de la santé et de la protection sociale.
Dans le cadre du programme relatif à la justice, la loi organique prévoit des mesures visant à réduire la corruption. Certaines d’entre elles, telles que l’adoption d’un code de déontologie pour les juges, n’avaient toutefois pas encore été prises.
« Globalement, les réformes n’ont pas toujours été mises en œuvre comme prévu dans les secteurs couverts par l’audit. Les retards tenaient principalement au fait que le Parlement n’avait pas adopté certaines propositions de loi à temps (protection sociale) et qu’il n’avait pas encore adopté le code pénal et le code de procédure pénale (justice), ainsi qu’à l’absence de plan d’action spécifique (santé) et au manque de dialogue sectoriel avec le secteur privé (PACC) », souligne le rapport.
Par exemple, dans le secteur de la santé, les principaux problèmes étaient le manque de personnel médical et les disparités entre les zones urbaines et rurales, alors que le programme d’appui budgétaire était essentiellement centré sur la réduction des disparités entre zones urbaines et zones rurales et ne comportait, pour traiter la question du manque de ressources humaines, qu’une seule valeur cible, peu ambitieuse liée à la tranche variable, à savoir la formation de seulement 13 médecins en tant que «médecins de famille» sur une période de trois ans.
Sur un autre registre et même si les taux d’exécution budgétaire étaient satisfaisants, des montants importants restaient à dépenser dans les budgets des ministères audités pour les exercices 2014 à 2016, ainsi que pour 2017 dans le cas du ministère de l’industrie. Les budgets annuels des ministères n’avaient pas sensiblement augmenté, et avaient même baissé pour ce qui est du ministère de l’énergie (voir figure 9). Cette situation remet en question la valeur ajoutée de l’appui budgétaire.
Par ailleurs, le rapport souligne que la délégation de l’UE ne dispose par exemple pas de statistiques annuelles permettant d’assurer le suivi du plan d’accélération industrielle. La valeur ajoutée du programme est donc difficile à déterminer.
Toute en rappelant que le Maroc est le seul pays qui bénéficie d’un programme d’appui budgétaire spécifiquement consacré à l’égalité entre les hommes et les femmes, les auditeurs révèlent que l’évaluation de l’UE relative aux droits fondamentaux indique que la situation ne s’est pas améliorée depuis 2014.
Des recommandations à mettre en place entre décembre 2020 et juin 202
Dans son rapport, la cour recommande à la Commission de concentrer l’aide sur un plus petit nombre de secteurs, d’améliorer les indicateurs de performance afin qu’ils permettent une évaluation objective, de renforcer les procédures de contrôle relatives aux décaissements, d’intensifier le dialogue sectoriel et d’accroître la visibilité du soutien de l’UE.
La Commission européenne est également appelée à renforcer l’approche de l’UE ainsi que le dialogue politique et sectoriel, à améliorer la conception des indicateurs et les procédures de suivi, à consolider les procédures de vérification relatives aux décaissements et à augmenter la visibilité du soutien de l’UE.
Les auditeurs ont fouiné dans les moindres détails jusqu’à soulever que le logo de l’UE n’apparaît pas sur les sites internet des bénéficiaires des programmes couverts par l’audit. « De ce fait, la visibilité du soutien de l’UE au Maroc n’est pas à la hauteur de sa présence dans le pays, dont elle est l’un des principaux bailleurs de fonds », estime-t-on.
L’UE est le plus grand pourvoyeur d’aide au développement en faveur du Maroc. Pour la période 2014-2020, la Commission a programmé 1,4 milliard d’euros d’aide, principalement dans les trois secteurs prioritaires que sont les services sociaux, l’état de droit et la croissance durable. Fin 2018, elle avait conclu des contrats pour un montant de 562 millions d’euros et versé près de 206 millions d’euros au titre de son instrument d’appui budgétaire, lequel vise à promouvoir les réformes et la réalisation des objectifs de développement durable et représente 75 % des dépenses annuelles de l’UE en faveur du pays.
La Cour des comptes européenne a informé qu’elle publiera, jeudi 12 décembre, un rapport spécial sur la qualité des données dans le domaine de l’appui budgétaire.