Quelles leçons tirer des 12 ans du Plan Maroc Vert pour aller vers une agriculture plus résiliente et créatrice de richesses notamment auprès de la population rurale ? Telle est la question à laquelle s’est attelé Professeur Najib Akesbi, invité de l’Association Ribat Al Fath.
Quel bilan du Plan Maroc Vert douze ans après son lancement en 2008 ? C’est l’exercice auquel s’est livré Professeur Najib Akesbi, économiste pendant plus de trois heures avant un débat avec l’assistance présente massivement à cette rencontre organisée par Ribat Al Fath. A telle enseigne que la deuxième partie consacrée au nouveau programme « Génération Green 2020-2030 » a été différée pour une prochaine séance.
Lors de son lancement en 2008, le PMV reposait sur 6 fondements avant qu’un septième ne soit ajouté en 2010, celui de la préservation des ressources naturelles, rappelle Najib Akesbi.
De même qu’il a été scindé en deux piliers, le premier, consacré à l’agriculture solidaire, vise les petits exploitants alors que le deuxième a trait à l’émergence d’une agriculture moderne, performante, compétitive et surtout résiliente aux caprices du ciel.
D’emblée, Najib Akesbi énumère les cinq bonnes idées du PMV. D’abord, un plan qui réhabilite l’agriculture, qui faisait une traversée du désert de 1993 à 2007.
Le deuxième point à l’actif du PMV est l’agriculture contractuelle pour organiser les synergies ou les agrégations : agréger autour d’un leader ou gros exploitant avec dans son orbite 50 à 150 exploitants. Akesbi estime que cette synergie est socialement et économiquement intéressante d’autant qu’elle contourne la problématique du foncier : le partenariat en lieu et place de la propriété.
L’économiste Najib Akesbi souligne également la réorganisation au niveau du ministère avec la création de nouvelles entités comme l’ADA, l’ONCA, l’Onssa…, la déclinaison régionale du plan et la déclinaison par filière, une première au Maroc, soutient-il. Une approche filière sanctionnée par la signature de 19 contrats-programmes.
Mais pour quel résultat ?
Le professeur Najib Akesbi formule une première remarque sur le Plan Maroc Vert qui procède selon lui d’un projet techniciste, qui considère l’agriculture « un secteur comme les autres ». Aussi, lui reproche-t-il d’être un modèle productiviste qui n’a pas trop tenu compte des exemples de pays notamment l’Europe qui certes est devenue une puissance exportatrice mais où ce type de modèle a eu de fâcheuses conséquences comme l’appauvrissement des sols, l’épuisement des ressources naturelles, les gaz à effet de serre… Akesbi attire d’ailleurs l’attention sur les effets pervers et inverses que peut avoir la micro-irrigation au Maroc sur l’objectif de faire 40% d’économie d’eau.
Son analyse du PMV, Najib Akesbi la construit sur l’évaluation de la réalisation des objectifs fixés par le plan, douze ans plus tard, en s’attardant sur les conditions de sa mise en œuvre.
Notamment une stabilité de l’instance gouvernementale, avec le même ministre à la tête du département, un climat favorable avec une pluviométrie favorable et des conditions de financement favorables notamment 115 Mds de DH, soit une moyenne de 13,3 Mds par an contre 1 milliard en 2000, sans oublier les 34 Mds de DH du Fonds de développement agricole (FDA).
Concernant la culture sucrière, la surface cultivée est de 70.000 Ha contre un objectif de 106.000 Ha, soit un taux de réalisation de 66%. En termes de couverture de la consommation par la production nationale, le taux est passé de 41% en 2008 à 49% en 2019, contre un objectif fixé de 62 % en 2020.
Pour la culture oléiculture, le taux de réalisation à 2019 est de 89 %, soit 1.073.000 ha contre un objectif de 1.200.000 Ha. Pour ce qui est des exportations, le taux de réalisation des objectifs assignés à 2020 est de 50 % pour l’olive de table et de 12 % pour l’huile de table.
Idem pour la superficie des céréales, le PMV se fixait pour objectif de la réduire à 4,2 millions de Ha alors que cette superficie est passée de 5,14 millions de Ha en 2000/2001 à 5,5 millions de Ha en 2016/2017.
Dans ce sens, Najib Akesbi a souligné tout le travail cumulé depuis plus de quarante ans par le département des sciences humaines au sein de l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II et qui mérite d’être pris en connaissance pour bien cerner le profil de l’agriculteur marocain en vue d’établir l’approche qui le mènera à diversifier ses cultures.
Ce dernier est obnubilé par sa propre sécurité alimentaire et celle de son élevage. Un élément fondamental que N. Akesbi appelle à prendre en considération.
Concernant les exportations agricoles, l’objectif des 44 Mds de DH est à 74 % puisque les exportations en 2018 étaient de 32,6 Mds de DH. « Incontestablement des cultures se sont développées… mais le problème des politiques agricoles est qu’elles sont très focalisées sur l’export (bien que le déficit commercial persiste et le taux de couverture moyen est de 52%) au détriment de la consommation locale notamment le blé ou encore l’huile de graine importée à hauteur de 98%, ce qui accentue la dépendance aux marchés extérieurs… » alerte Akesbi.
Il attire également l’attention sur la dualité entre la modernisation du secteur, notamment par une mécanisation plus accrue, et l’objectif de création d’emplois dans le monde agricole. « Entre 2008 et 2019, le secteur a perdu 277.100 emplois », rappelle-t-il.
Sur les objectifs sociaux, Najib Akesbi estime que le discours du Roi d’octobre 2018 est en soi une première appréciation puisqu’il appelle à l’émergence d’une classe moyenne rurale.
Pour lui, « l’agriculture ne fait plus vivre l’agriculteur. Cela signifie que la construction d’une classe moyenne rurale ne passera pas par l’agriculture mais par le développement non agricole ». Plusieurs autres points ont été passés en revue, notamment l’importance de recourir au monde académique et de la recherche, mais le plus important point qui revenait en boucle est de savoir si des enseignements ont été retenus de ces douze dernières années pour bien attaquer cette nouvelle décennie.