L’entrepreneuriat semble, enfin, attirer l’attention des pouvoirs publics au Maroc. Un fonds d’appui au financement des entrepreneurs a été mis en place. Seulement, ce fonds est tellement sollicité et attendu sur plusieurs fronts qui risquent de le transformer en espoir trompeur.
Bridez votre enthousiasme
Avec un taux de chômage à deux chiffres, les pouvoirs publics ont compris que pour multiplier les emplois, il faut multiplier les entrepreneurs. Le ton a été donné par la loi de finances 2020 en créant le fonds d’appui au financement de entrepreneuriat et lui réservant un crédit initial de l’ordre de 2 milliards de dirhams. La signature des conventions entre les différentes parties prenantes devant Sa Majesté a donné un air sérieux à l’initiative. Une grande campagne de communication a été lancée pour garantir une large médiatisation au projet. Dans cette vague, horde de barbouilleurs de papier, par inculture flagrante, ont comparé l’initiative avec le plan Marshall : je vous laisse méditer combien l’ignorance a fait des progrès.
Face cachée de l’initiative
Plusieurs ont applaudi l’initiative du fait qu’elle met à terme l’exigence de sûretés personnelles au demandeur de crédit et tarif très abordables. Du côté des sûretés, il sera toujours exigé des demandeurs de concours bancaires de présenter des sûretés réelles pour garantir un parfait dénouement de leur crédit. Or ces sûretés constituaient avant l’initiative l’obstacle essentiel aux entrepreneurs. Du côté du taux d’intérêt, L’initiative propose un taux d’intérêt oscillant entre 1,75% et 2%. Inutile de rappeler que cette générosité médiatisée à grande échelle n’est pas si clémente. Inutile de rappeler que le Maroc a pu emprunter, rien qu’en novembre dernier au taux de 1,50% et que sous d’autres cieux, les clients sont servis avec des taux d’intérêt négatifs. Il suffit d’affecter les ressources issues du dernier emprunt contracté sur le marché international et le tour est joué. Il s’agit donc d’une initiative ordinaire rendue extraordinaire par les médias.
Les pleurnichards
La dotation réservée au projet, initialement fixée à 65 milliards de dirhams, s’est vue rallongée à 8 milliards de dirhams après l’entrée d’un invité de dernière minute en l’occurrence le fonds Hassan II pour le développement économique et social. La contribution généreuse du Fonds Hassan II constitue une réponse au système bancaire marocain. En effet, lors d’un séminaire organisé au sein du parlement, sous le thème : « le financement de l’économie nationale, vers un développement intégrateur », plusieurs banquiers ont commencé à pignouser. L’attitude de ces dernières est loin d’être comprise. En effet, A croire les chiffres de Bank al Maghreb, les contributions des banques dans le fonds ne représentent que 0.30% des dépôts de la clientèle à la fin de 2018 et 0.35% des crédits accordés à la fin de l’année 2018. Le rapport de Bank Al Maghrib traite également d’un taux de créance en souffrance de l’ordre de 7,30%. Mais comment alors demander à des banques à commission à se jeter à cors perdu dans une telle initiative porteuse sans aucun doute de risques. Le problème c’est que ne rien risquer est un risque encore plus grand.
Les gens avant l’Argent !
Examinant les expériences passées, n’est il pas vrai que les craintes des banquiers sont fondées ? En effet, rien qu’en 2018, l’Etat a épongé, au frais du contribuable, les ardoises laissées par les programmes jeunes promoteurs, auto-emploi et moquawalati. Rien n’empêche du moment que les conditions d’exercer n’ont pas changé depuis que l’initiative prenne une veste. L’Etat serait alors amené à gommer des créances. En effet, qui pardonne aisément invite à l’offenser. Les banquiers sont en droit de penser au devis du divorce avant d’entreprendre l’acte de mariage. Comme ça été rappelé par un banquier sur un plateau de TV, l’argent n’est pas suffisant pour construire un entrepreneuriat solide. L’accompagnement est, selon lui, la clé de la réussite. Il est légitime de poser la question si notre système éducatif produit vraiment des entrepreneurs. Pour la repose, rendez-vous devant le parlement, pour voir combien la fonction publique est la plus chérie de nos jeunes.
Il est certain qu’il n’y a pas un caractère d’entrepreneur mais il faut un caractère pour l’être. Jamais au Maroc, une étude sur l’entrepreneuriat n’a été opérée pour au moins connaitre le profil de l’entrepreneur, dégager les opportunités, identifier les menaces et arrêter une banque de projets. Mettre des fonds, jeunement, à la disposition de jeunes pousses non encadrés et désarmés dans un milieu qui regorge de pièges aura pour fil droit l’augmentation de la population des mécontents au lieu et place de calmer l’indignation qui s’est installée dans notre société.
Encore l’informel
Outre le problème de l’emploi, les pouvoirs publics escomptent, à travers le fonds, favoriser la migration de l’informalité vers la formalité. La carotte fiscale, juridique voire l’ouverture du droit à la commande publique n’ont pas assuré l’afflux souhaité. Il est juste que l’informalité est née, notamment, de l’incapacité du capital à absorber la force de travail. Injecter de l’argent contribuerait, sans conteste, au ralliement d’une partie de la population en quête d’un travail décent et fuir les aléas de l’informel. A travers cette initiative, l’Etat espère faire basculer l’avantage du côté du formel.
L’intégration par entrepreneuriat
L’initiative a également pour mission d’accompagner les PME-PMI actives dans l’exportation vers l’Afrique. Depuis, le retour triomphal du Maroc à la scène Africaine la carte économique constitue la clé de l’intégration. Dans la coopération Sud-Sud le Maroc n’arrête pas de faire des pas de géant. Seulement, on s’attendait, dans le cadre de l’initiative, que l’offre couvre les résidents africains au Maroc. L’intégration par l’entrepreneuriat constituera un message ferme quant aux intentions du Maroc à consolider la coopération Sud-Sud et à profiter également des compétences africaines.
Et la croissance
Plusieurs opérateurs économiques voient dans l’initiative une mesure interventionniste de l’Etat qui animera la demande intérieure. A notre avis cette dernière ne sera que petitement impactée. En effet, le compteur de la demande intérieure n’est pas sensible au si petit débit permis par l’initiative. Et pour preuve, l’Etat en augmentant de ses dépenses publiques de 20 milliards de dirhams entre 2018 et 2019 n’est pas parvenu à tirer la demande intérieure vers le haut.
Ceux qui pensent que l’argent est la solution à la boite de pandore du Maroc doivent commencer par faire fermer leurs boîtes. Ceux qui croient que l’initiative est la planche de salut, rêvent surement en couleur. Il ne faut pas attendre que l’initiative mette du beurre dans les épinards des marocains mais elle est porteuse d’espoir.