Ecrit par Imane Bouhrara |
L’opinion d’El Mostapha Ramid exprimée sur la crise entre le Maroc et l’Espagne a été sévèrement critiquée sur les réseaux sociaux. Surtout qu’elle survient après les événements dans l’enclave de Sebta. Bien que la liberté d’expression et d’opinion soient garanties pour tous, la sortie de Ramid est pour le moins inopportune.
Alors que les tensions entre le Maroc et l’Espagne sont montées d’un cran, suite au rappel par le Maroc de son ambassadrice en Espagne et aux réactions de responsables espagnols et européens sur l’afflux sans précédent de 6.000 migrants marocains dont des mineurs en une seule journée à Sebta ; mais aussi sur fond de tensions diplomatiques pour « l’accueil humanitaire » du chef du polisario en Espagne… Voilà qu’El Mostapha Ramid, ministre d’Etat chargé des droits de l’homme vient rajouter une couche à l’emballement médiatique.
Il y a lieu de souligner qu’El Mostapha Ramid aussi ministre soit-il, est un Marocain comme un autre et il est en droit de jouir au même titre de la liberté d’expression protégée par la constitution du Maroc et d’avoir sa propre opinion sur l’actualité du pays.
Oui en tant que citoyen et homme politique marocain il est en droit, et à raison de clamer haut et fort que « L’accueil par l’Espagne du chef des milices séparatistes du polisario, sous une fausse identité, sans tenir compte des relations de bon voisinage qui exigent coordination et consultation, ou du moins de prendre le soin d’en informer le Maroc, est un acte irresponsable et totalement inacceptable ».
Mais il a choisi de s’exprimer sur la page officielle de Ministre sur Facebook, ce qui donne à cet avis « personnel » un cachet quelque peu officiel.
Et certaines expressions usitées n’ont pas manqué de susciter une vague de critiques pour cette sortie publique à l’heure où les discussions sont à couteaux tirés sur les réseaux sociaux. Et autant dire qu’il a reçu volée de bois verts.
Pour un politicien doublé d’un ministre d’un Etat, cet avis bien qu’il veuille exprimer un patriotisme et un attachement au pays, manque de tact. Et pourtant en politique comme en diplomatie, chaque action doit être calculée au millimètre près, car elle peut être interprétée autrement par l’opinion publique.
Cela provoque également une cacophonie au sein de l’Exécutif dans ce sens où Ramid se prononce là où le chef de la diplomatie marocaine a préféré ne pas s’exprimer et continuer ses entretiens quotidiens avec ses homologues à travers le monde, particulièrement en Afrique. Un jeu de rôle difficile à expliquer.
Peut-être sommes-nous là face à la tactique du méchant et du gentil flics ? A-t-il été mandaté pour parler sur des dossiers qui relèvent du champ d’action du ministère des Affaires étrangères ?
Pis, le timing laisse entendre que cette triste migration illégale massive de Marocains vers Sebta est orchestrée lorsqu’il dit « Qu’attendait l’Espagne du Maroc quand elle a hébergé le responsable d’une bande qui a pris les armes contre lui ? ».
En tant qu’avocat, il doit bien imaginer que c’est un témoignage à charge, ce qui complique davantage une situation très opaque en l’absence totale de communication sur la gestion de ces crises aussi bien avec l’Espagne que l’Allemagne. Et quand le chef de diplomatie daigne répondre, il le fait à travers des médias étrangers.
« Le Maroc est donc dans son plein droit de faire savoir à l’Espagne l’ampleur de ses souffrances au nom de ce bon voisinage et qu’il ne va pas accepter de sous-estimation, afin qu’elle puisse revoir sa politique et ses relations avec son voisin et respecter ses droits comme il respecte les siens », dixit Ramid.
Peut-être aurait-il été opportun de spécifier l’expression par le Maroc de cette souffrance pour lever toute ambiguïté de ses propos.
Si les internautes ont été encore plus sévères avec Ramid, c’est surtout que pour eux, en tant que ministre chargé des droits de l’homme, il doit agir dans le champ de ses prérogatives.
Il aurait ainsi dû s’inquiéter de cet afflux de migrants marocains à Sebta, surtout des mineurs et s’enquérir des conditions aussi bien de leur arrivée, de leur séjours ou encore de leur refoulement par les forces militaires espagnoles.
Il faut signaler à juste titre que la couverture médiatique de cet événement a été émaillée par des violations du droit à l’image des enfants… et de la dignité humaine tout court.
Mais la phrase qui n’a pas plu est bien lorsque le ministre emprunte la citation du juriste et théologien musulman, Abū Hanīfa an-Nu’mān ibn Thābit « آن لأبي حنيفة أن يمد رجليه «. (Ramid a adapté la citation pour dire « Il est temps pour le Maroc d’étendre ses jambes ».
Cette citation, sortie de son contexte, a été mal interprétée, et a provoqué de vives réactions.
En avançant sur un terrain miné, Ramid est sorti de ses gonds alors que la diplomatie est une main de fer dans un gant de velours. Ou comme dirait le poète écossais Eric Robert Russell Linklater « La diplomatie, c’est faire et dire les plus vilaines choses de la manière la plus élégante ».
Soyons d’accord sur une chose, l’Espagne s’est trahie et son double jeu a éclaté en plein jour. Une posture qui la met face à ses contradictions et qui met dans l’embarras sa justice incapable de faire son travail et traduire un criminel de guerre devant son tribunal.
Une bourde diplomatique que l’Espagne gagne à réparer et le Maroc, puissance régionale au leadership avéré, dispose de toutes les cartes pour lui faire entendre raison, avec finesse comme il l’a déjà fait en 2014 avec la France, avec la Turquie sur l’ALE et d’autres puissances… sans fanfaronnade ni même que cela s’ébruite.
« Un habile général sait d’avance tout ce qu’il doit faire ; tout autre que lui doit l’ignorer absolument », disait Sun Tzu dans L’art de la guerre.