Même en temps normal, le taux de mortalité des entreprises au Maroc est inquiétant pour plusieurs raisons. Ces facteurs conjugués aux effets du Covid-19 menacent non seulement les entreprises, mais le risque est de voir des chaînes de valeur détruites. Les cas du tourisme, BTP ou industrie automobile sont les plus édifiants.
C’est un cataclysme que vivent l’ensemble des économies du globe sous l’effet de la pandémie du Covid-19. Le Maroc n’y échappera certainement pas, lui dont les agrégats économiques sont plus timides par rapport à d’autres puissances, elles-mêmes déboussolées.
Au moins le pays a fait le choix clair de contenir la crise sanitaire avant de s’attarder sur le volet économique dont les prémices sont déjà là. Les alertes se multiplient de différents secteurs, les experts et économistes sont sur le qui-vive et l’Etat a la tête dans le guidon pour essayer de contenir la crise sanitaire. D’ailleurs l’une des limites de la réponse actuelle à l’épidémie est qu’elle s’étale au 30 juin. Et au-delà ? Quelle relance ? Quels sont les scénarios de sortie de crise à envisager ?
En fait, il est difficile de faire des projections et des scénarios en présence de cette inconnue : jusqu’à quand la pandémie durera-t-elle dans notre pays et dans le monde ? Sa gravité ? Plus le confinement se prolongera plus les séquelles économiques seront irréversibles.
Et ça l’est d’autant plus que le tissu économique est composé à plus de 90 % de PME et TPE, des structures qui peinent en temps normal à garder la tête hors de l’eau, que dire face à cette épidémie planétaire.
Pour preuve, à peine le Comité de veille économique avait annoncé les mesures relatives au secteur structuré (moins de deux semaines de l’état d’urgence sanitaire) que les patrons, dont ceux de grandes structures, se sont bousculés pour déclarer l’arrêt temporaire de travail et inscrire leurs salariés pour toucher l’indemnité forfaitaire servie par le Fonds spécial de gestion de la pandémie. Ce qui a incité les autorités à alerter sur une « mauvaise » compréhension de conditions de bénéficier de ce fonds, allusion faite aux fraudeurs.
On évoque dans un premier temps, quelque 113.000 entreprises déclarées en arrêt de travail et 700.000 inscrits pour l’indemnité forfaitaire. Plus récemment au Parlement, le ministre de l’emploi annonce que 131 955 entreprises sur 216 000 ont été touchées par cette pandémie, soit 61% du tissu productif national. Et on ne donne pas de précisions s’il s’agit d’arrêt temporaire ou bien bon nombre de ces entreprises risquent tout simplement de disparaître.
L’effet destructeur de l’emploi n’est pas non plus à démontrer puisque sur 2.600.000 travailleurs du secteur privé, 808.199 sont inscrits pour profiter de l’indemnité forfaitaire.
Autant dire qu’en terme de mortalité d’entreprises, nous dépasserons largement les prévisions de 2020 qui tournaient autour de 5%.
Des secteurs en entier menacés !
Le taux de mortalité des entreprises est élevé, tout le monde s’accorde à le dire, en raison de facteurs internes à l’entreprise, comme une mauvaise gestion, manque de compétitivité… ou externe comme les délais de paiement qui étouffent la trésorerie ou encore l’accès difficile au financement …
Des freins qui ont largement persisté au Maroc et paradoxalement, qui trouvaient voie vers la résolution notamment les délais de paiement avec la décision de l’Observatoire d’appliquer des sanctions aux mauvais payeurs, ou encore le lancement du programme Intelaka… une véritable dynamique stoppée net par la pandémie.
Comme pour le corps humain, le Covid-19 touche les personnes vulnérables à faible immunité, il en est de même pour l’économie. Ceci étant, l’inquiétude ne réside pas de voir le taux de mortalité des entreprises grimper mais de voir des pans d’activité entièrement détruits.
Le cas de l’aérien et du tourisme, frappés de plein fouet par la crise sanitaire qui a provoqué des fermetures en cascade des frontières et clouant au sol les avions.
Le secteur du Tourisme a été pour sa part déclaré sinistré à travers le monde et face à la prolongation de la fermeture des frontières, l’Organisation mondiale du tourisme a mis en place une batterie de mesures. Mais elle devra revoir sa copie vu qu’avec la prolongation de la crise sanitaire, ses mesures ne risquent pas d’atteindre l’effet escompté.
Sur le plan national, le rapport d’avril 2020 de la Confédération nationale du tourisme laisse planer un sérieux doute sur la survie de nombre d’acteurs du marché (120.000 salariés) et évoque une destruction du tissu économique du secteur si des mesures de long terme ne sont pas mises en place immédiatement.
Même son de cloche du côté du BTP. La Fédération nationale du secteur a adressé un courrier au Chef de Gouvernement où elle brosse un tableau noir : le chiffre d’affaires du bâtiment a chuté de 75% et celui des travaux publics de 75% et 60%. La lettre est claire comme l’eau de roche, même les entreprises de taille critique risquent une rupture d’exploitation.
Pour le tourisme comme pour le BTP, les opérateurs n’ont aucune visibilité sur un éventuel plan que concocteraient leurs tutelles respectives.
Autre secteur touché par la sinistrose « Covid-19 » est l’industrie automobile, avec l’arrêt de la production des deux principaux acteurs que sont Renault, PSA, une décision qui plonge dans le désarroi les petits équipementiers qui composent cet écosystème.
Ce qui est en commun entre ces différents secteurs est que les mesures du CVE ne peuvent suffire à elles seules à sauver le tissu productif, d’autant que ces mesures couvrent une période courte (fin juin) alors que les effets de la pandémie peuvent s’étaler sur deux à trois avant de retrouver un semblant de niveau normal.
Certes on peut voir le Covid-19 comme un élément qui permet une sorte de sélection naturelle des entreprises, et beaucoup disparaîtront avec, mais le risque de ne rien faire est de voir des entreprises aux bons fondamentaux et aux effets structurants de certaines activités disparaître en silence et avec des milliers d’emplois et de la valeur économique.
On ne peut sauver l’humain qu’en sauvant l’économie et on ne peut sauver l’économie qu’en sauvant l’humain. C’est un juste équilibre que l’Exécutif devra trouver rapidement, sinon le Covid-19 fera échec et mat.