A l’instar de tous les pans d’activité, le secteur bancaire participatif devra essuyer les répercussions néfastes et profondes de la Covid-19, la première crise de son histoire à laquelle il doit faire face. Mais à la différence des autres secteurs, en l’absence du Takaful, les banques participatives sont fragilisées davantage.
C’est rien que dire que la construction de l’écosystème participatif au Maroc est grevée par le retard des autres composantes telles que le Takaful. Ce retard aura un lourd tribut pour les banques et fenêtres participatives qui, pour la première crise générale à laquelle elles doivent faire face, elles se retrouvent nez-à-nez avec la Covid-19.
Autant dire une paille face à des vagues scélérates.
Le Takaful sera-t-il réellement opérationnel en 2020 comme le souhaite le secteur bancaire participatif qui navigue depuis trois ans à vue ?
En tout cas, il y a intérêt puisque si le système bancaire conventionnel est rompu à l’exercice de faire face aux crises, appréhende les retombées néfastes de la crise avec un creusement des besoins en liquidités pour financer l’économie et une augmentation des défaillances ; le secteur bancaire participatif au Maroc, lui, vivra la première crise de son histoire et comme un malheur n’arrive jamais seul, il s’agit d’une crise inédite qu’implique la Covid-19. Systémique, profonde et dont les effets s’étalent sur la durée et dans l’espace.
Certes le secteur fait montre de progrès et les volontés sont exprimées ici et là pour mettre sur pied (ferme) cette nouvelle industrie financière.
Mais c’est une industrie qui avouons-le, démarre avec de gros handicaps notamment l’absence d’une couverture alternative, ainsi que des autres composantes de l’écosystème.
Un premier semestre 2020 en progression
L’analyse récemment publiée par Finéopolis Institute montre que l’encours des financements accordés par le secteur bancaire participatif a atteint 7,7 milliards de dirhams enregistrant ainsi une progression de 59% en glissement annuel.
L’encours adossé uniquement sur la Mourabaha a été marqué par une forte concentration du financement immobilier qui s’accapare à lui seul plus de 88%.
En termes de ressources, la forte progression du nombre de comptes à vue à plus de 38% en glissement annuel et l’introduction des dépôts d’investissements a permis au secteur de mobiliser un total de 2,9 milliards de DH avec une progression de 19,89% sur les six premiers mois de l’année.
Néanmoins, le ratio de transformation reste considérablement déséquilibré avec un taux de plus de 376%.
Lors du premier semestre 2020, le PNB du secteur a progressé de 75% pour s’établir à 140.5 millions de dirhams.
Le secteur bancaire participatif a commencé à résorber ses pertes en passant d’une perte de 207,4 millions en juin 2019 à une perte de 183.6 millions de dirhams à fin Juin 2020 en matière de résultat net, soit une réduction de 11%.
Les charges d’exploitation ont, quant à elles, progressé de 8% pour s’établir à 315 millions de dirhams.
En termes de couverture géographique, le secteur bancaire participatif propose ses services à travers 146 agences dédiées et points de vente au sein d’agences classiques, affichant ainsi une évolution en glissement annuel de 18%.
A la lumière de ces éléments financiers, le secteur bancaire participatif affiche une certaine résilience malgré les trois mois de confinement dont ont pâti pratiquement tous les secteurs.
Il y a lieu par ailleurs de rappeler que ce semestre a été marqué par la mise en place, par Bank Al-Maghrib, des dispositions spécifiques pour fournir un appui au refinancement des Banques Participatives.
De même que mise en place, en juin dernier, des fonds de garantie participatifs destinés à faciliter l’accès à l’offre de financement des banques et des fenêtres participatives.
L’offre d’appui participative, qui est gérée par « Sanad Tamwil » – la fenêtre participative de la CCG, porte sur différents mécanismes d’intervention en faveur des entreprises et des particuliers :
– DAMANE ISKANE : fonds de Garantie des financements accordés par les banques et fenêtres participatives en faveur des particuliers pour l’accès à la propriété ;
– DAMANE MOUQAWALA : fonds de Garantie des financements accordés par les banques et fenêtres participatives en faveur des TPME.
Mais il est certain que le secteur reste loin des ambitions des débuts, à savoir s’accaparer entre 5 et 10 % du marché des financement. En effet, toujours selon les données de Finéopolis Institute, l’encours bancaire participatif reste en dessous de 1% de l’encours bancaire global, et les dépôts bancaires participatifs (dépôts d’investissement et dépôts à vue) constituent moins de 0,27% du total des dépôts bancaires. En ce qui concerne le réseau bancaire national qui compte 6539 agences bancaires, le secteur bancaire participatif en représente seulement 2,23%.
Des perspectives assombries par la Covid-19
Ce deuxième semestre sera crucial pour le secteur bancaire puisqu’il dévoilera sa capacité à faire face à la crise en l’absence, toujours, d’une assurance alternative. « En cas de décès ou invalidité des clients, les banques et fenêtres participatives vont devoir gérer un « risque social » de conflit avec leurs ayants droit », souligne Finéopolis Institute.
Un boulet qui vient s’ajouter aux autres fragilités sur secteur : « Les banques participatives, souffrent encore d’un déséquilibre de gestion bilancielle important dû à plusieurs facteurs. On cite, entre autres, un niveau de dépôts trop faible par rapport aux encours qui ne dépasse pas 35%, et un niveau de dépôts courants peu élevés par rapport aux dépôts d’investissement (rémunérés et à terme), un phénomène contre-nature, du moins dans le contexte particulier du Maroc, menacent la rentabilité de ces institutions dont le modèle d’affaires repose structurellement sur un niveau important de ressources gratuites », note Finéopolis Institute.
L’un des premières conséquences est une perte de compétitivité face au système bancaire conventionnel en raison de l’enchérissement des produits bancaires participatifs.
Les banques et fenêtres participatives sont ainsi appelées à fournir un effet surnaturel pour mobiliser l’épargne dans un contexte de crise sanitaire doublé d’une crise économique.
Aussi, le marché de financement participatif devrait-il diversifier son offre pour opérer un rééquilibrage salutaire de la gestion actif passif.
En effet, selon Finéopolis, le déséquilibre bilanciel susmentionné est exacerbé par une très grande concentration du portefeuille des financements dans l’immobilier dont les durations sont typiquement longues (à plus de 10 ans) face à des ressources de courtes maturités (WBI, dépôts d’investissement et dépôts à vue) et une quasi-absence d’instruments de refinancement à des maturités plus longues type Sukuk.
S’il est vrai que de nouveaux produits ont atterri sur le marché de financement participatif, ce qui permet une diversification de l’offre, et cibler les entreprises et les ménages en plus du financement de l’immobilier (ce dernier s’accapare 82 % des financements) ; mais ces produits sont quelque peu en décalage avec les capacités opérationnelles des banques et fenêtres participatives ou encore avec leur approche risque. D’autant que ces produits doivent être adossés à des produits décès-invalidités, aujourd’hui inexistants.
Dans ces conditions, il serait opportun d’accélérer les chantiers en cours de construction de l’écosystème participatif, non pas pour permettre au secteur bancaire participatif de contribuer davantage au financement de l’économie et des ménages ; et de contribuer à la relance mais surtout pour préserver cette expérience certes embryonnaire mais réussie malgré tous les freins de départ et la prémunir face à la Covid-19.