Ecrit par I. Bouhrara |
Objet de toutes les attentions et élément central de toutes les politiques publiques depuis plusieurs décennies, le secteur privé marocain est aujourd’hui à un tournant. Voler de ses propres ailes et jouer pleinement son rôle de dynamique de croissance pour la sortie de crise ou bien restera-t-il ad vitam aeternam sous l’aile protectrice de l’Etat dont la marge de manœuvre budgétaire s’est réduite comme neige au soleil ?
« Le secteur privé marocain a une véritable carte à jouer dans la reprise économique du Royaume. L’inclusion financière, le développement des zones rurales et l’intégration du pays dans les chaînes de valeur mondiales sont les nécessaires ingrédients à une sortie de crise par le haut ». C’est la principale conclusion du rapport conjoint BAD-BEI-BERD « Développement du secteur privé au Maroc : défis et opportunités en temps de pandémie de Covid-19 » présenté, ce 25 septembre. Une présentation suivie d’un débat sur cette question qui se pose depuis des lustres.
Objet de toutes les attentions et élément central de toutes les politiques publiques depuis plusieurs décennies, le secteur privé marocain est aujourd’hui à un tournant. Voler de ses propres ailes et jouer pleinement son rôle de dynamique de croissance pour la sortie de crise ou bien restera-t-il ad vitam aeternam sous l’aile protectrice de l’Etat dont la marge de manœuvre budgétaire s’est réduite comme neige au soleil ? Quelles sont limites et les contraintes devant l’édification d’un secteur privé fort et compétitif ?
Bien évidemment, il faut garder en tête que le secteur privé n’est pas un bloc homogène puisqu’il y a une grande partie dans le formel et le reste dans l’informel, ce qui représente l’un des premiers défis à ce rôle de locomotive de la croissance que doit jouer le secteur privé. Au sein même du formel, les besoins des secteurs diffèrent et au sein d’un même secteur, les défis ne sont pas les mêmes pour une grande qu’une petite entreprise. Voilà qui rend la tâche plus ardue.
Le débat qui a suivi la présentation dudit rapport et modéré par Abdou DIOP Managing Partner de Mazars permet des regards croisés au moins sur trois thématiques revenues en force notamment celle du financement.
Malgré un système financier des plus développés d’Afrique, au Maroc, la problématique de l’accès au financement, particulièrement bancaire, revient en boucle. Un problème également soulevé dans le rapport conjoint de la BAD-BEI-BERD. Ce dernier souligne également la modeste inclusion financière des femmes, des jeunes et des zones rurales.
Un fait confirmé par Barbara Marchitto de la BEI qui rappelle que 19 % des PME (qui représentent 90% du tissu économique marocain) ont pu accéder à ligne de crédit bancaire, donc pour le développement de leurs activités mais la majorité des PME doivent compter sur leurs fonds propres. Sauf que depuis la crise, les PME souffrent d’une baisse de liquidité qui les contraint à retarder le paiement de leurs fournisseurs et de l’administration fiscale, ce qui atteste des graves difficultés des PME.
« Je pense qu’il est nécessaire d’accélérer la stratégie d’inclusion financière au Maroc surtout le renforcement du rôle des institutions non financières pour diversifier les instruments financiers à destination du secteur privé notamment les petites et micro entreprises. Pour assurer la sortie de crise, le passage numérique et l’éducation financière sont des prérequis. Je dois également évoquer que le financement n’est pas la seule réponse, il faut renforcer l’expertise et des outils de pilotages adaptés aux besoins des entreprises, un rôle que peuvent jouer les institutions internationales à travers l’assistance technique », explique-t-elle.
Les effets de la crise n’ont pas été les mêmes que pour tous les secteurs économiques. A l’heure où certains comme le tourisme ont été à l’arrêt, d’autres ont pu tirer leur épingle du jeu. Le cas de l’agroalimentaire qui a pu maintenir le même niveau pré crise, les exportations ont même enregistré une légère hausse.
Mais ce secteur, pour s’inscrire dans une véritable dynamique de croissance durable a d’autres besoins que de l’amélioration de l’accès aux financements. Comme l’explique Younes Barrour, directeur financier de groupe coopératif Maïsadour, le défi de la ressource hydrique pour le secteur agroalimentaire est à gérer, notamment en encourageant l’utilisation des nouvelles technologies de l’irrigation et en augmentant l’offre des barrages. « Il y a aussi un autre point sur lequel l’interprofession doit travailler celui de l’aval du secteur qui passe par la diversification de l’offre, la valorisation de la production et l’amélioration de l’offre logistique », soutient-il.
L’accès aux marchés est un élément qui a été détaillé dans le rapport conjoint BAD-BEI-BERD qui relève qu’entre 2002 et 2018, les exportations marocaines ont enregistré une hausse de 275 %, alors que la hausse était de plus de 800% vers l’Afrique subsaharienne. Cependant ce niveau est jugé faible.
Le rapport qui recommande d’approfondir l’ancrage du Maroc, particulièrement les PME, dans les chaînes de valeur mondiales, souligne toutefois que l’accroissement des exportations se heurte aux barrières tarifaires et non tarifaires, notamment en Afrique. Ainsi les droits de douanes moyens sur les exportations marocaines en Afrique se montent à 16,25 % contre environ 10 % pour les exportations en provenance de l’UE.
Le rapport plaide également en faveur de la mise en place d’un organisme public intersectoriel et interministériel sous la supervision du chef de gouvernement pouvant renforcer les différentes stratégies sectorielles.
Autre défi évoqué lors de ce débat est celui de la bonne gouvernance au sein des entreprises, des choix d’investissement et de développement surtout face à la spectaculaire crise Covid-19, évoqués par Rajaa Berrkia, du Fonds d’investissement Mediterrania Capital Partners.
Elle rappelle dans ce sens que la décision a été immédiate de ne pas reporter les investissements, notamment le closing de deux importants projets initialement dans le secteur de la santé.
« Nous avons travaillé sur trois axes avec les sociétés qui sont dans notre portefeuille : d’abord nous avons ouvert de nouvelles lignes d’injection de capital pour les accompagner, nous les avons accompagnées pour négocier des lignes de crédit à court terme avec leurs banques, mais aussi pour avoir de nouvelles lignes de crédit. En terme de gouvernance nous avons mis en place des cellules de crise et de surveillance dédiées à la performance des sociétés mais également aux aspects sociaux pendant la crise sanitaire. Nous avons étoffé le reporting financier et extra financier et nous avons réussi à inscrire les entreprises sur une nouvelle dynamique de durabilité. Sans oublier l’accès aux assistances techniques, auprès des grands bailleurs comme la BAD ou la BEI », soutient-elle.
Hormis la crise, elle estime que le Maroc doit poursuivre ses efforts pour améliorer l’accès aux financement (mais également garanties et subvention), la simplification du système public, la dématérialisation du système judiciaire, ou encore la généralisation du système de création des entreprises en ligne.
Allusion également faite aux financement alternatifs, particulièrement le crowdfunding, en attendant la mise en place de plateformes sur internet pour avoir accès direct à des investisseurs.
Sur ce point du financement, il y a lieu aussi de souligner que l’Etat a amorcé un important chantier de la réforme du marché des capitaux pour accompagner la relance mais qui reste encore au stade de réunion de travail pour formuler des actions à même de développer le marché de la dette privée ou encore la mise en place d’une stratégie intégrée de développement du marché des capitaux.
Bien évidemment les problématiques sont multiples et approchées de manière différentes selon qu’on soit une institution internationale ou un organisme de crédit ou si l’on est une entreprise privée, d’où l’importance de croiser les regards.
La liste des leviers et défis n’est pas exhaustive, puisque la problématique de la fiscalité demeure présente et pesante au Maroc, la disponibilité de la ressource humaine également, le coût de l’énergie, la fluctuation des prix de matières premières… mais la question doit être traitée dans un tournant où le Maroc amorce la mise en œuvre de son modèle de développement et s’attend à une contribution plus forte du secteur privé.