Les avancées technologiques ont ramené de nouveaux acteurs sur le secteur financier, mettant au défi le modèle de développement classique des institutions comme les banques. Le digital est devenu alors un levier de maintien de compétitivité du secteur bancaire. L’une d’elles a pourtant entamé ce virage il y a plus d’une décennie. Les détails avec Ahmed Rahhou, PDG de CIH Bank.
EcoActu.ma : Depuis votre arrivée à la tête du CIH Bank, vous avez misé sur le digital comme levier de réduction du gap entre votre banque et les banques les plus performantes du secteur. Aujourd’hui, ce choix s’avère opportun puisque tout le monde a pris conscience du digital comme levier d’évolution…
Ahmed Rahhou : Effectivement, notre croyance que le digital est un levier pour la banque est ancienne et a été matérialisée par un certain nombre d’actions. Ma croyance dès le départ aussi est qu’il faut passer du monde classique au monde digital. En fait, dans le monde on le voit il s’est trouvé des modèles de banques qu’on appelle les purplayers, c’est-à-dire des banques dans le digital pur, sans réseau physique. Nous n’avons jamais cru en ce modèle même s’il fonctionne mais il fonctionne petitement. Nous avons réfléchi avec toutes les équipes internes à la banque que le modèle qui va fonctionner est celui où le lien physique doit exister tout en étant digitalisé pour que les clients puissent traiter tout ce qu’ils souhaitent. C’est ainsi que nous avons commencé avec une transformation à l’intérieur de la banque en adoptant le digital dans l’ADN de la banque et non seulement un accessoire parallèle. Certaines banques ont choisi cette deuxième voie en élaborant des solutions mais en marge de la banque. Nous, nous avons fait le choix de digitaliser la banque en tant que telle.
Aujourd’hui, on peut constater que le succès notamment auprès de la jeune génération est très fort et cela nous permet d’avoir des offres qui permettent à CIH Bank d’être dans le monde digital totalement.
Comme je le répète souvent, le digital c’est le monde de l’instantanéité, de disponibilité de l’information, de gratuité ou du moins une quasi gratuité sur l’essentiel, et d’interaction rapide.
Nous avons essayé de mettre tout ça en commun : Ainsi les valeurs que vous donnez ou les virements que vous faites sont traités instantanément… Et en baissant les coûts, parce que quand nous réalisons des opérations de cette nature ça nous coûte moins cher et par conviction, une partie de l’argent économisé doit revenir aux clients et nous permet également de développer des offres gratuites, notamment la carte et moyens de paiement sont gratuits, le chèque est gratuit, nous n’avons pas de frais de tenue de comptes, pas de date de valeurs, tout est instantané !
Et vous parvenez à gagner votre vie avec ça ?
Oui parce que ce type de produits connaît un engouement et nous nous en félicitons. D’ailleurs aujourd’hui, beaucoup de banques de la place sont en train de suivre ce cheminement.
Vous avez tout de même un peu bousculé le secteur dans ce sens ?
Je pense que si ce modèle de développement ne vient pas de l’intérieur, il nous viendra de l’extérieur puisque bien évidement le secteur bancaire est chahuté par de nouveaux acteurs qui ne viennent pas du monde bancaire. Je pense particulièrement à des opérateurs de téléphonie qui ont développé des systèmes bancaires à part entière parce que justement les banques n’avaient pas vu venir ce besoin des gens de l’instantanéité, de la rapidité et de la disponibilité.
Au niveau du CIH, nous avons pensé qu’il vaut mieux inscrire ces valeurs dans la banque avant qu’elles ne nous soient imposées. Et les banques qui n’iront pas sur cette voie n’existeront tout simplement pas dans dix ans.
En parlant de l’extérieur, et des évolutions fulgurantes qui se développent à l’international, au niveau du Maroc quel savant dosage faut-il faire entre ouverture et supervision par les différents régulateurs sur le cadre réglementaire que ce soit BAM, ANRT ou l’Office des changes ?
Déjà, il faut changer de paradigme. Habituellement, l’arrivée de nouvelle solution implique l’identification des difficultés qu’elle risque de générer. Je pense que le digital aujourd’hui nous amène à poser le problème autrement. C’est-à-dire il faut que la solution existe mais il faut gérer les problèmes induits à savoir de sécurité, d’accès aux réseaux internationaux y compris financiers.
Nous ne pouvons pas aujourd’hui être neutre par rapport à cela et dire que nous allons lever les frontières. Nous serons à ce moment déconnectés du monde. C’est pourquoi il faut aller vers les solutions, poser le problème et le régler.
Et quand je dis poser le problème cela implique que notre code de commerce et notre réglementation sur le traitement des moyens de paiement, le change, la confiance et la validation des contrats doivent être repensés en intégrant le digital en natif et non pas en le mettant en couche parallèle.
Pour la création d’entreprise, à titre d’exemple, nous travaillons avec l’OMPIC, la CGEM et d’autres organes pour qu’elle soit faite en ligne uniquement. Le digital ne doit pas être perçu comme une alternative, pourquoi faut-il qu’un porteur de projet se déplace pour créer son entreprise ? Après, il faut sécuriser l’opération, puisque dans la création physique nous avons une identification, une signature qu’il faut digitaliser. Si la solution existe on la prend, si elle n’existe pas, il faut l’inventer !
C’est une nouvelle façon de faire qui commence maintenant et qui doit être accentuée.
Il y a une année vous interveniez au Colloque international des finances publiques autour du thème de la souveraineté des Etats, notamment les défis et opportunités que représentent les nouvelles technologies dans le domaine financier, qu’il s’agisse des GAFA, de la crypto monnaie… Aujourd’hui, comment le Maroc, pays dont l’économie se mondialise peut ouvrir son système financier sur le monde tout en gardant sa souveraineté et profiter des opportunités offertes par ces nouvelles technologies ?
Elever des frontières n’est pas la solution ! Je prends le cas de la crypto monnaie ou le Bitcoin qui exprime le besoin, on laisse de côté le besoin spéculatif pur, d’une monnaie qui circule à l’international le plus rapidement possible.
Aujourd’hui, dans chaque pays à travers le mobile payment, les transferts instantanés pas coûteux se développent.
Mais il faut voir où le Bitcoin prend naissance, hormis le côté disons négatif, du besoin d’un moyen de transfert simple. Or, actuellement les transferts transfrontaliers sont hyper coûteux, lents et inefficaces.
Le système financier international n’a pas jusqu’à présent répondu à ce besoin.
Je pense que les crypto monnaies vont exister, n’évinceront pas les monnaies classiques, et l’on entend de plus en plus notamment le FMI, et c’est la piste que je préconise, que les banques centrales encouragent leur système financier à générer la crypto monnaie nationale ou une crypto monnaie dédiée à un usage particulier. Je pense qu’il vaut mieux avoir une solution qui permet de répondre aux besoins des gens plutôt que les ignorer, en laissant des solutions se développer en dehors du système.
Faut-il aussi rappeler que la crypto monnaie n’est pas l’unique usage du blockchain. Ce dernier est utilisé sur un tas d’autres secteurs qui nécessitent la confiance virtuelle, par exemple l’échange d’actions, l’échange de monnaies, l’échange de titres, l’échange de biens, l’échange de certificats d’authenticité… Dans chaque pays, il faut mener une réflexion sur l’ensemble de ces usages y compris la crypto monnaie qui est l’un des usages que permet le Blockchain. Et surtout expliquer aux gens qu’on leur amène une alternative aux usages classiques qui procure de la confiance.
Je pense qu’il y aura une coexistence entre les deux systèmes qui finiront par se rejoindre puisqu’une crypto monnaie générée par une banque centrale ça garantie aussi bien la facilité d’usage que la confiance !
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