L’épidémie du Coronavirus accentue la vulnérabilité du monde, du continent africain encore plus qu’il faudra donner de nouvelles orientations aux politiques économiques des pays africains. Aussi, la zone de libre-échange africaine constitue-t-elle une opportunité de trouver de nouveaux débouchés et favoriser le commerce intra-africain et développer des chaînes de valeur régionales, comme l’explique Abdou Diop, Managing Partner de Mazars Audit & Conseil.
EcoActu.ma : Sur le plan du continent que ce soit la banque mondiale ou la banque africaine de développement, ont formulé de vives inquiétudes sur les effets économiques du Covid sur les pays africains, particulièrement producteurs du pétrole. Aussi, est-il prévu sur le plan mondial de grandes perturbations du commerce international. Comment les pays du continent largement tributaires de l’exportation de matières premières peuvent-ils préserver ou du moins éviter que la croissance ne pique du nez ?
Abdou Soulèye Diop : Aujourd’hui, tous les pays, quelle que soit leur dépendance aux recettes d’exportation, aux transferts de leurs diasporas, et/ou importations subissent de plein fouet les impacts négatifs de la crise du Coronavirus sur leurs économies. Les pays producteurs de pétrole africains, si on ne doit les citer qu’eux en exemple, font face à l’effondrement des prix qui les rend plus vulnérables.
Le pétrole représente respectivement 88% et 76% des recettes d’exportation des pays comme l’Angola et le Nigéria. Ils s’en sortaient quasiment à peine des chocs pétroliers de fin 2014 et début 2016 que les voilà replongés dans une situation fragile.
Les pertes financières des pays exportateurs du pétrole du Continent sont estimées à environ 65 milliards de dollars dont 19 milliards seraient supportés par le Nigeria à lui seul. C’est dire combien la situation est difficile.
Leurs politiques économiques devront se baser sur davantage de diversification orientée pourquoi pas vers l’agriculture. Les réformes structurelles (éducation, santé…) doivent être menées.
La conjoncture se prête-elle à ce genre de réformes ?
Les dépenses publiques doivent être réorientées vers des projets prioritaires pour plus d’industrialisation, de projets d’infrastructures… tout ceci permettrait d’assurer une croissance durable et renforcer leur résilience aux chocs exogènes.
Le Nigéria a déjà pris des mesures d’ordre budgétaire et monétaire. Il va aussi bénéficier d’une aide financière de 3,4 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI). C’est la plus grande aide accordée à ce jour par l’institution à un pays africain pour faire face à la pandémie. Cette aide permettra, entre autres, de consolider les finances publiques.
En Angola, si les instruments de politique monétaire restent pour l’heure quasi inchangés, la banque centrale a par exemple autorisé un taux de change de compensation du marché lors des enchères de devises.
Ce pays avait, par le passé, mis en place des plans d’austérité (gel de transferts de capitaux vers l’étranger et importation de certaines marchandises). Peut-être qu’il serait envisageable qu’il en fasse aujourd’hui de même.
Les mois à venir seront donc cruciaux pour prioriser les urgences et mettre en place des mesures adéquates pour soutenir les économies. Les pays africains exportateurs rebondiront comme ils l’on déjà fait auparavant. Ils auront néanmoins besoin d’aides financières pour faire face à cette urgence.
Des moratoires sur la dette ou des ouvertures de lignes de crédit pour le secteur privé pourraient être accordés.
Quid des pays qui ont déjà opéré ce virage de plus d’industrialisation, de projets d’infrastructures…
La crise du Covid-19 va générer des opportunités pour les pays africains ayant déjà développé des écosystèmes industriels. En effet, la grosse dépendance des grands donneurs d’ordres mondiaux à la Chine et l’Asie en général, a été mise à nue par la pandémie.
Sur le plan stratégique, la situation ne peut rester ainsi.
Par conséquent un changement de paradigme important se produira et où la localisation des usines dans la chaîne d’approvisionnement ne sera pas uniquement déterminée par des notions de coût (où l’Asie reste championne) mais par l’impératif stratégique de sécurité d’approvisionnement et de proximité (où l’Afrique devient pertinente).
Les pays africains qui sauront s’adapter pourront recueillir de nombreux investissements pour constituer une production de sécurité par rapport à la dépendance asiatique.
A votre avis, la pandémie devra-t-elle ralentir ou au contraire inciter les pays africains à accélérer l’opérationnalisation de la ZLECAF ?
Selon les dernières estimations de la Banque Mondiale, la croissance en Afrique subsaharienne devrait se rétracter en 2020 à -5,1% plongeant la région dans sa première récession depuis plus de vingt ans.
Pour booster les échanges intra africains, il est clair que la pandémie du Coronavirus est une opportunité et devrait plutôt inciter les pays africains à accélérer l’opérationnalisation de la ZLECAf.
N’oublions pas que selon les estimations, les exportations peuvent passer de 36 milliards de dollars à 43 milliards de dollars. Sans hésitation, l’entrée en vigueur de cette zone de libre-échange prévue en juillet 2020 devrait être maintenue.
Donc, la pandémie devra avoir un effet accélérateur…
La Zlecaf une opportunité pour les pays africains de trouver de nouveaux débouchés et favoriser le commerce intra-africain et développer des chaînes de valeur régionales. Des pays comme l’Afrique du Sud, de la Côte d’Ivoire ou du Ghana qui exportaient leurs productions de denrées alimentaires notamment en dehors du Continent pourront se tourner vers des pays africains. Il en va pour les autres produits. Tout le monde en sortirait gagnant.
Par ailleurs, la crise du Covid-19 a démontré très clairement l’intérêt de commercer entre pays africains au moment où beaucoup de liaisons maritimes et aériennes étaient arrêtées. Les échanges routiers entre pays du continent ont été salvateurs pour répondre aux besoins en produits alimentaires.
Donc cette crise est une opportunité pour booster la mise en œuvre de la Zlecaf.
Dans le même ordre d’idées, le Roi Mohammed VI a lancé une initiative de Chefs d’Etat africains visant à établir un cadre opérationnel afin d’accompagner les pays africains dans leurs différentes phases de gestion de la pandémie. Justement, quelle est l’importance de la coopération entre pays pour s’en sortir ensemble, pour ne citer que l’exemple de l’Italie qui a pâti du manque de solidarité d’autres pays de l’UE ?
L’union fait la force, et c’est dans cette union que nous devons lutter contre cette pandémie. L’initiative Royale ne pouvait mieux tomber dans le contexte que nous connaissons où la solidarité mondiale et régionale est recommandée pour faire face à la crise. C’est ensemble que nous arriverons à mieux nous relever.
SM le Roi Mohammed VI a orienté cette initiative sur des actions concrètes pour partager les expériences et les best practices pour faire face aux impacts non seulement sanitaire mais aussi économique et social de cette pandémie.
Les pays de la CEDEAO prônent également une forte coordination entre les pays de la zone.
Les différents dirigeants ont d’ailleurs appelé à la mise en place d’un plan de riposte de sortie de crise pour relancer les économies après la fin de la crise sanitaire.
Des pays comme le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad ont décidé d’adopter des mesures monétaires communes (dans le cadre de l’institution Banque des États de l’Afrique Centrale) comme l’injection de plus de liquidités pour les augmenter de 400 millions de dollars à 800 millions de dollars.
Il faut continuer à encourager ce genre d’initiatives qui permettront aux différents pays de se soutenir mutuellement.
2 Commentaires
Merci pour ces précieuses questions/réponses => La coopération sud/sud est repenser pour intégrer les bonnes leçons acquises depuis 1991
Une belle occasion pour Bank Al Maghrib en vue de proposer ses services pour la fabrication des passeports de la RDC (République Démocratique du Congo) qui mettra fin, le 11 juin 2020, au contrat qui la lie à une entreprise européenne qui facture l’unité de passeport à 180 $US !(Voir https://afrique.latribune.fr/entreprises/2020-05-20/identification-biometrique-le-belge-semlex-sur-le-gril-en-rdc-848222.html).
BAM peut approcher, aussi, d’autres pays amis tels que la Côte d’Ivoire, le Congo, la Guinée Bissau, Madagascar, les Comores ainsi que le Mozambique qui font fabriquer leurs passeports hors du continent africain.